Dahomey

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3–4 minutes

Nous vous conseillons vivement d’avoir vu le(s) film(s) traité(s) par nos textes, afin de ne pas être spoilé·es et de mieux comprendre nos propos !

3–4 minutes
FICHE TECHNIQUE

Réalisation : Mati Diop
Scénario : Mati Diop
Date de sortie : 2024

Proposer une critique exclusivement formelle d’une œuvre n’est jamais bienvenu 1 ; pour des films tels que Dahomey, cela est encore moins pertinent.
Mati Diop offre, dans ce documentaire d’à peine une heure, une réflexion complexe, intelligente et plurielle sur la restitution de vingt-six trésors royaux de l’actuel Bénin, depuis la France jusqu’à leur pays d’origine.
La temporalité est un sujet phare du film. Comment rendre compte, en à peine une heure, d’une situation condensant des centaines d’années d’histoire, de conflits et de négociations, depuis la naissance du Dahomey jusqu’au retour des œuvres, en passant par leur création, leur spoliation, et les laborieuses discussions engagées pour leur rapatriement ? La solution, ici, est dans la parole et dans le silence. Dahomey, contrairement à bien des documentaires qui offrent un discours unique, pose de nombreuses questions mais n’y répond jamais. Jamais Diop ne pose comme son point de vue comme unique et légitime ; au contraire le montage articule diverses sources de paroles, toutes à la première personne. Des visiteurs du musée nouvellement rempli, des intervenants de l’Université Abomey-Calavi, et la statue du roi Ghézo, parlent tour à tour, complexifiant le regard du film sur son sujet (jusqu’à ce que ces regards deviennent le sujet).
Etudiants et visiteurs réfléchissent à la restitution en soit, à son organisation et à ce qu’elle symbolise, et en questionnent aussi l’intérêt. Est-il si urgent de convoquer de tels moyens de rapatriement dans un pays qui peine à nourrir tous ses habitants ? Que faire de ces objets royaux et ésotériques maintenant que leur transformation en œuvre d’art les a dénués d’âme, les a désacralisés ? De nombreuses approchent s’affrontent et se cumulent, contraignant le/la spectateur.rice à la réflexion. Dahomey s’inscrit dans une histoire longue, la place laissée à la jeunesse introduit un avenir en construction.  
Ces interventions, ainsi que les plans du musée et de la ville, sont structurées par la subjectivation fantastique de la statue du roi Ghézo. Ces monologues fantasmés ancrent l’événement décrit au présent comme continuité du (ou plutôt comme révolution face au) passé. Accompagnée de l’image ou non, la voix transformée, profonde et imparfaite appelle l’étrange et supporte le point de vue de toutes les œuvres, principaux sujets dont on se dispute la possession. Le texte, marquant, est écrit par Makenzy Orcel, poète et écrivain, et fait de la statue du roi une métonymie des populations immigrées. Cette prise de parole place en parallèle la restitution des objets culturels et historiques, et les histoires intimes et singulières de peuples immigrés et d’afrodescendants. Les premières phrases refusent d’ailleurs le français, langue coloniale.
Il est à regretter cependant que, parmi toutes ces voix offertes au/à la spectateur.rice, aucune ne vienne de classes populaires. S’il est déploré l’inaccessibilité des trésors royaux à une majeure partie des béninois, et si la caméra insiste sur la collaboration d’ouvriers et de peintres en bâtiment, ces hommes restent mutiques, cloisonnés dans une image silencieuse.
Dahomey reste un film réfléchi et volontaire. On sent, et cela est plus rare qu’il ne devrait l’être, que chaque plan est nécessaire pour la réalisatrice, que Diop avait besoin de réaliser ce film, et de nous le diffuser, tout comme les populations européo-occidentales ont besoin de le voir. Certes sage et d’une subversion exempte de véhémence, il propose un regard multiple et intelligemment construit sur une problématique actuelle. L’arrivée des œuvres, loin d’être la fin d’un périple, est le début d’une histoire et de réflexions à mener. Entre réel et fantastique, entre débats et monologues poétiques, Diop ne s’impose ni ne choisit. Tout est questions et ambivalences, depuis le discours jusque dans la forme qui les porte.

Alex Dechaune

1 : Voir l’article d’Alex Dechaune sur le livre Le culte de l’auteur : Les dérives du cinéma français, Geneviève Sellier, La fabrique éditions.

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