FICHE TECHNIQUE
Réalisation : Mohammad Rasoulof
Scénario : Mohammad Rasoulof
Année de sortie : 2024
L’action se déroulait en Iran, il y a deux ans, lors des manifestations du mouvement Femme Vie Liberté qui ont suivi le meurtre présumé d’une jeune femme, arrêtée pour tenue non réglementaire. Et la voici maintenant projetée en France. Entre documentaire et fiction, le film capture pour nos beaux yeux une réalité dépassée qui se poursuit dans le lointain, dans un “plaidoyer” contre un Etat qui ne lui ouvrira pas ses portes de si tôt. Condamné à la prison depuis mai, le réalisateur en exil en Allemagne insiste en effet sur le caractère miraculeux de la sortie de son film.
Au-delà de la distance temporelle, il existe donc une distance culturelle entre le sujet filmé en Iran et celui qui l’observe de la France. Une langue inconnue, le persan, des paysages peu familiers, une nourriture exotique, tous ces attributs sont autant de pierres composant le mur invisible qui entoure cette fenêtre déjà fermée. Rasoulof installe pourtant “dans notre jardin” ce qui autrement ne renverrait à aucune réalité tangible pour nous. Est filmé sur le ton de la connivence et de la familiarité une histoire dont nous n’avons pour la plupart pas le contexte précis en tête. On nous montre dans un format pourtant bien connu, celui des Tik Tok, des reels et des shorts, un quotidien qui ne nous appartient pas. Il s’agit des extraits de violences policières capturées lors des manifestations de 2022 par le réalisateur, et cela on l’observe, à ses risques et périls. Arraché à l’événement par ce geste engagé, le résidu cruel d’une violence qui nous échappe nous est ainsi donné sur le mode de la consommation et du divertissement.
On nous propose donc comme pour échapper à cette réalité sordide le confort d’une vie de famille aisée. Cependant le foyer est perméable à la violence des rues : le père, récemment promu comme haut fonctionnaire de l’Etat iranien, met ainsi le reste de sa famille en lien avec la Théocratie qu’il sert plus ou moins aveuglément. La complicité familiale attendrit d’abord. Les conflits qui s’y développent sont évoqués sur le mode de la normalité : crises d’adolescences, disputes entre sœurs, tensions entre un homme absent et sa femme qui veut le soutenir… Petit à petit et de moins en moins subtilement, le récit de famille se fait métaphore vivante de la Théocratie Iranienne. Alors même que la famille se replie au plus profond de son intimité en quittant Téhéran pour retrouver la maison familiale de campagne, la voilà de plus en plus liée au destin d’une nation.
Soyons réalistes : ce film ne va pas ressusciter l’intérêt de l’opinion publique pour la situation en Iran, si tant est qu’il ait déjà réellement existé. Quelques bouches de spectateur.rice.s en resteront bées un instant, quelques articles nourriront l’illusion pour un temps, et puis silence. Le combat a certes été filmé par un homme il y a deux ans, il a encore cours aujourd’hui, soyons en conscient : nous n’y pouvons que peu de choses. Ce que nous permet ce film, c’est d’abord de comprendre, c’est à dire d’intégrer dans notre système de connaissances et de représentations, une situation qui resterait autrement abstraite. Comprendre n’est pas synonyme de connaître. L’œuvre invite plutôt son/sa spectateur.rice à apprendre par lui-même. Sa force à notre égard, spectateur.rice.s qui avons droit de l’être (et ayons conscience que ce droit est réellement un privilège), réside dans la manière dont elle révèle par un drôle d’effet miroir les rouages d’un système qui nous est familier : le bon vieux patriarcat.
Rarement une œuvre n’a exploré avec autant de pertinence, que cela soit sur le plan visuel ou narratif, les enjeux de la domination masculine, domination perverse intrinsèquement liée à celle de la religion, ayant pour force et faiblesse de prendre justement racine dans le terreau familial. Le premier plan du film, faisant directement suite à l’explication scientifique du titre, permet par la suite d’explorer les impuissances de cette domination. Une main, qui se révèle être celle d’Iman, mais qui est avant tout une main d’homme, dépose six balles sur la table. Le pistolet vide incarne dès lors l’ombre menaçante d’un vieil arbre barbu, pour devenir dans les mains d’une femme invisible une lumière tournée vers les rouages enrayés et les grimaces d’une puissance en déclin. L’arme même de la domination devient celle de la libération, alors que dans une dernière séquence à couper le souffle est mise en scène une dernière fois la complicité familiale. C’est en ce sens que la proximité ressentie avec les difficultés traversées par les personnages prend à ce titre un autre goût, plus amer.
Geneviève Rivière







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