FICHE TECHNIQUE
Réalisation : Lana Wachowski et Lilly Wachowski
Scénario : Lana Wachowski et Lilly Wachowski
Année de sortie : 1999
Tout a été dit sur Matrix. La révolution technique, esthétique, qu’a représentée le film, les doubles lectures qu’on peut en faire (trans, notamment1), comment il a changé les normes de ce qu’est un héros au cinéma (physiquement, comportementalement) … Faire un article sur l’impossibilité de faire un article sur Matrix, cependant, ne relève d’aucune originalité pour moi, et d’aucun intérêt pour vous. J’essaierai plutôt de réfléchir à comment un film de plus de vingt ans d’âge peut me frapper si intensément aujourd’hui et me plaire tant.
Il me semble d’abord qu’une grande qualité du film est la modernité* de ses personnages. On peut apprécier l’art de Matrix parce que son propos n’est jamais insultant, que ses représentations ne gênent pas sa lecture. L’androgynie de Neo et Trinity, associée à leur couple contingent et loin des normes hétéropatriarcales, est criant de contemporanéité. Keanu Reeves, qui interprétait jusqu’alors des personnages de frêles garçons, se voit ici confier la fonction d’Elu et les doutes qu’elle implique. L’homme est loin des figures viriles et arrogantes mais tire sa force de son questionnement et de son agilité. Avec et indépendamment de lui (ce qui était et reste rare) évolue Trinity, hors de tout normative gaze, active et agissante. L’histoire, complexe, est expliquée pendant une longue première partie. Le spectateur est guidé dans l’appréhension de ce sub-monde renvoyant à d’éternels questionnement philosophiques dont la vulgarisation n’implique pas une approche simpliste. Dans Matrix, modernité et complexité n’entravent pas l’accessibilité.
Les effets spéciaux, aussi, sont une chose susceptible de ridicule et d’obsolescence avec l’âge ; ils sont d’une modernité exceptionnelle. Cela est dû à ce que l’image ne les prennent pas pour base mais comme appui. La composition, la lumière, le travail des couleurs, l’innovation exempte de facilité, compensent et empêchent amplement leur vieillissement. On a reproché, avec raison sans doute, aux films du MCU leur classicisme dans l’utilisation d’effets spéciaux : l’innovation technique, le réalisme des fonds verts et des effets, étaient indéniables, mais aucun travail artistique ne s’ajoute à celui technique. Le problème est que les technologies ont dans leur essence leur renouvellement constant, qui implique une constante péremption de celles antérieures. Ici, les SFX ne se contentent jamais d’eux-mêmes. Les propositions visuelles, kitsch et extravagantes, renvoient au contraire à un plaisir primitif du cinéma, à l’exaltation du jeu de travail de l’image.
La résurrection de Neo2, scène culte, illustre parfaitement ces deux notions. Trinity embrasse Neo à la fin du film, après avoir affirmé son existence bien avant et indépendamment de ce couple, s’inscrivant ainsi en ironique symétrie des célèbres baisers aux endormies de Blanche Neige et La Belle au Bois Dormant. S’ensuit le retour à la vie de Neo, lui permettant d’affronter l’agent Smith et ses deux compères : Neo évite les balles envoyées en les surpassant de vitesse ; son esquive vers l’arrière et le bullet time3 entrent dans l’imaginaire cinématographique. En quelques minutes à peine, Matrix innove esthétiquement et culturellement, le tout avec un naturel épatant.
Je conclue en vous encourageant à vous renseigner sur les multiples lectures de Matrix, et me contente, à mon échelle, de vous assurer que ce film de 25 ans ne les fait pas.
*Par modernité, j’entends ici la capacité du film à prendre des risques esthétiques et de représentation, en se plaçant en opposition ou en nouveauté face aux standards alors dominants.
1 : Matrix Generation – Documentaire ARTE
2 : Scène de résurrection – Extrait youtube
3 : L’effet est obtenu par la juxtaposition de 120 appareils photos prenant un cliché de la scène, ensuite travaillés en post-production : le « visual effect » a donc ici une matérialité, un artisanat, dont la base réelle permettent à l’effet de rester actuel.
Alex Dechaune







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