FICHE TECHNIQUE
Réalisation : Emanuel Parvu / Scénario : Emanuel Parvu, Miruna Berescu / Production : Miruna Berescu, Oana Matei (délégué), Bianca Anastasiu (exécutif), Théo Nissim (associé) / Coproduction : FAMart Productions / Distribution : Memento Distribution / Direction de la photographie : Silviu Stavila / Ingénierie du son : Mirel Cristea / Montage : Mircea Olteanu / Costumes : Bogdan Ionescu / Coiffure : Gabriela Cretan / Décors : Bogdan Ionescu / Maquillage : Gabriela Cretan
Avec Ciprian Chiujdea, Bogdan Dumitrache, Laura Vasiliu, Valeriu Andriutã, Adrian Titieni, Ingrid Micu Berescu
Année de sortie : 2024
Trois kilomètres jusqu’à la fin du monde étonne par son point de vue anormal, ou plutôt anormalement normé. Le film raconte les vacances d’Adi, de retour dans sa famille, à la campagne, alors qu’il étudie à Tulcea. Une nuit où il embrasse un garçon, « le touriste », il se fait battre par deux habitants de son âge. L’histoire se concentre sur le père d’Adi, investi dans la recherche des coupables jusqu’à ce qu’il apprenne le motif de l’agression et qu’il s’emploie à son tour au redressement de son fils. L’intrigue suit, en parallèle, le prêtre chargé de l’exorcisme d’Adi ; le policier chargé de la plainte, qui préférerait qu’elle soit retirée pour s’assurer la tranquillité de sa retraite à venir ; et Zentov, père des deux garçons coupables des coups. En somme, elle se concentre très peu sur Adi, et encore moins sur son amie Ilinca.
Il est délicat pour un film traitant d’extrêmes violences dirigées vers une minorité de placer sa subjectivité chez le coupable, l’agresseur, le criminel. Dans La Nuit du 12 par exemple, il est questionnable (et c’est un euphémisme) d’utiliser le sujet du féminicide, si peu traité, pour dresser le portrait de potentiels tueurs et de policiers désabusés – des hommes – plutôt que de se concentrer sur la femme tuée. Mais dans Trois kilomètres jusqu’à la fin du monde, la décentralisation du point de vue ne sert pas l’empathie des personnages subjectivés ; il permet plutôt de montrer comment, même en connaissant les motifs des personnages, leurs actions homophobes restent cruelles et inhumaines.
Différentes structures sont ainsi montrées dans leur réalité et leurs défaillances. Alors que la famille, la police et l’Eglise sont des institutions censées être protectrices, elles deviennent vite agressives, corrompues ou inquiétantes. Les parents d’Adi, pleins de soutien et d’amour en le découvrant blessé, deviennent ses bourreaux après avoir appris son homosexualité. Le couple, voulant protéger et sauver leur enfant de ce qu’ils pensent être une maladie et/ou une tentation du Diable, le détruit. La police suit dès le début un parcours similaire quoique plus modéré dans sa recherche des coupables. Le chef fait traîner l’enquête, couvre les fils de Zentov, reste aveugle aux violences subies par Adi, et freine les aides faites à ce dernier. L’Eglise, sous couvert de guérir la « maladie » d’Adi, pratique un exorcisme dont le registre est peu clair, balançant entre horreur et ridicule. En effet, face au refus d’Adi de recevoir le prêtre, ses parents l’enchaînent et la prière se fait dans une atmosphère étrange, couverte par les cris bestiaux d’Adi gisant sur le canapé. Cette séquestration est si soudaine et véhémente, au centre d’un film appelant la mesure et la froideur, qu’elle frôle le burlesque.
L’homosexualité n’est jamais nommée, évoquée seulement par insultes et paraphrases (Adi est “de l’autre bord”), trahissant le tabou de cette orientation sexuelle auprès des habitants du village. Adi lui-même ne confesse pas son attirance pour “le touriste”, celle-ci étant trahie par son mutisme et non par aveu. Les plans longs, traînants, et minutieusement étudiés de ce film formellement minimaliste, mettent en avant la pesanteur et l’oppression croissante de la situation.
Il est intéressant de noter que Adi et Ilinca sont les seuls personnages à avoir un prénom, alors qu’ils sont ceux qui apparaissent le moins à l’image. Le film oscille ainsi entre invisibilisation et humanisation d’Adi, et il trouve sa limite dans ce paradoxe. C’est particulièrement le cas dans une des dernières scènes, dans laquelle le prêtre justifie l’exorcisme à une assistante sociale venue faire un rapport. Il revendique avoir seulement prié pour guérir Adi, et compare l’enchainement de ce dernier à un parent qui force son enfant à recevoir la piqûre d’un médecin. Pendant ce discours aux allures rationnelles et pragmatiques, le plan se resserre sur le visage de l’homme, jusqu’à faire disparaître du plan l’assistante, et du dialogue sa réponse. Alors que durant la majorité du film les plans fixes soumettaient les personnages, les faisant disparaître partiellement ou totalement s’ils ne suivaient pas ses cadres, l’image cette fois donne de la parole, de l’importance, et une forme de légitimité à ce discours.
Là est tout le problème du film : ses intentions coïncident mal avec là où se situe son point de vue. Il ne se contente pas de donner voix à des protagonistes violemment homophobes, il ne les contredit jamais. Adi est mutique, son amie Ilinca presque inexistante et réduite à un outil narratif. Si subjectiver les coupables permet de rappeler qu’ils sont à l’origine des gens comme tout le monde, cela va néanmoins ici de pair avec une disparition de la victime comme sujet. A la fin, Adi échoue, n’offrant ni fierté, ni parole, ni espoir, à une communauté LGBT si discriminée en Roumanie.
Alex Dechaune







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