Si le but premier du film d’horreur est d’effrayer, il se place néanmoins en témoin réflexif d’une société névrosée. Ce n’est pas un hasard si bon nombre de films d’horreurs sont inspirés de faits réels, en passant de L’exorciste à La dernière maison sur la gauche.
Au début des années 1980 une maladie, d’abord surnommée le « Gay Related Immuno Defency » puis « Sida » en 1982, apparaît, parallèlement à l’arrivée au pouvoir du conservateur Ronald Reagan aux Etats-Unis. Le président compare cette maladie à “la rougeole, qui part toute seule”, participant ainsi à son invisibilisation. L’absence de gestion du sida de la part du gouvernement a pour conséquence de répandre de nombreuses croyances et peurs infondées, renforçant une homophobie déjà présente. Chez les artistes homosexuel·les parler et montrer le traitement infligé aux victimes devient une nécessité.
L’évolution chronologique des représentations du sida dans le cinéma d’horreur permet de comprendre la manière dont les artistes l’ont abordé ainsi que leur réception et compréhension par le public.
- 1985 : Nightmare on elm street : 2 (La revanche de Freddy), Jack Sholder
- 1991 : Poison, Todd Haynes
- 2014 : It Follows, David Robert Mitchell
1985 : Nightmare on elm street : 2 (La revanche de Freddy), Jack Sholder
Réalisation : Jack Sholder / Scénario : David Chaskin et Wes Craven / Production : Robert Shaye et Sara Risher / Direction de la photographie : Jacques Haitkin et Christopher Tufty / Montage : Bob Brady et Arline Garson / Musique : Christopher Young / Costumes : Gail Viola
Réalisé à la suite du grand succès du premier Freddy et les griffes de la nuit par Wes Craven, le second volet de la saga met en scène Jesse, un jeune adolescent emménageant dans la maison où ont eu lieu les précédents crimes de Freddy Krueger. Le film met en scène un héros ouvertement queer1 interprété par l’acteur Mark Patton, lui -même ouvertement homosexuel, une situation très rare pour l’époque.
Le film joue tout du long de l’homo-érotisme du héros, régulièrement torse nu à l’écran et très proche d’un de ses amis. Au cours d’un cauchemar, Jesse se retrouve ainsi dans un bar gay et y croise le regard de son coach. La séquence se poursuit dans les vestiaires de sport auprès de ces deux individus clairement fantasmés. Le scénariste et le réalisateur ont longtemps nié l’ambiguïté homosexuelle du film ; dès la scène d’ouverture cependant le personnage interprété par Mark Patton reflète un personnage à la marge des lycéens de son âge et arborant des caractéristiques physique queer.
Le sida, à l’image de l’homosexualité du héros, est un enjeu présent durant tout le film. L’incompréhension du protagoniste par son entourage rappelle l’indifférence de la majorité de la population vis à vis de cette maladie encore récente.
Par ailleurs, une des scènes que l’on peut qualifier d’homo-érotique fait directement écho au vécu des personnes LGBT de cette époque. Lorsque Jesse se rend chez Ron après que Freddy l’ait empêché d’avoir une relation sexuelle avec Lisa, il demande à son “ami” de veiller sur lui afin qu’il ne s’endorme pas. On peut faire le lien entre cette scène et une des séquences du premier film. Les deux exposent des personnages attirés par un autre, mais dans le second film ce sont deux hommes.
Par ailleurs Freddy, par l’intermédiaire du corps de Jesse, tue Ron. La mort de cet ami n’est pas sans évoquer les pertes douloureuses vécues par un grand nombre de membres de la communauté LGBT d’alors. Rappelons qu’en 1984 et 1985 on dénombre 130 400 personnes atteintes du Sida aux Etats-Unis, contre 34 800 en 20192.
Si la production est passée à coté de ce sous-texte homosexuel, ce n’est pas le cas du public. Le second volet des Griffes de la Nuit constitue le plus grand échec de la franchise. On peut aisèment penser que cet échec est en parti dû au personnage joué par Mark Patton, héros androgyne et marginal, s’opposant à l’habituelle “final girl »3.
1991 : Poison, Todd Haynes
Réalisation : Todd haynes / Scénario : Todd Haynes / Production : Christine Vachon / Direction de la photographie : Maryse Alberti et Barry Ellsworth / Montage : Todd Haynes et James Lyons / Musique : James Benett / Costumes : Jessica Haston
Contrairement à Jack Sholder, Todd Haynes est ouvertement homosexuel. Il affirme qu’à cette période fortement touchée par le sida, c’est une “nécessité” pour lui et ses camarades de filmer et retranscrire ce qu’ils vivent. Poison est le premier long métrage de ce réalisateur ; il regroupe trois nouvelles entrelacées traitant toutes de personnages considérés comme déviants par la société.
L’une d’elles, Horror, met en scène un savant, le Dr Graves, qui avale par inadvertance un sérum le transformant tout au long du récit en un “monstre”. Todd Haynes filme l’effroi de ses proches et de la population face à ce visage qualifié de “ lépreux”.
Un monologue prononcé par le Dr Graves fait écho aux mouvements de revendication des homosexuel·les, la Pride existant depuis 1970 : “Parce que vous ne saurez jamais, ce qu’est la fierté. Parce que la fierté est la seule chose qui fasse affronter la souffrance”. Cette fierté est celle d’une communauté opprimée, à une époque où seules des associations minoritaires telles qu’Act Up se battent bénévolement pour la reconnaissance et la prise en charge des malades. Niall Richardson explicite la queerness de ce personnage dans son article Poison in the Sirkian System: The Political Agenda of Todd Haynes’s Far From Heaven : “ Dr. Graves is the most obvious metaphor for the « queer » character whom society abjects as monstrous.” 4
Le développement du cinéma américain indépendant permet à Poison d’obtenir le Grand Prix du Jury au festival de Sundance. Cette visibilité inédite rend compte d’une absence de représentation d’une partie de la population à l’écran, comme l’explique B. Ruby Rich dans “A Voice That is not There Otherwise”.
Les années 90 sont un tournant dans le cinéma indépendant américain avec l’émergence du New Queer cinema dans lequel on peut y voir des représentations du sida par Greg Araki avec The Living End ou Blue de Derek Jarman.
2014 : It Follows, David Robert Mitchell
Réalisation : David Robert Mitchell / Scénario : David Robert Mitchell / Production : P. Jennifer Dana / Direction de la photographie :Mike Gioulakis / Montage :Julio C. Perez / Ingénierie du son : Lauren Robinson / Musique : Disasterpeace et Rich Vreeland / Costumes : Kimberly Leitz-McCauley / Décors : Michael Perry
Dans une ville américaine, une “Chose” suit certaines personnes. Pour s’en débarrasser elles doivent la transmettre à un autre. Cette « contamination » se fait d’une manière peu anodine : elle se fait par rapport sexuel.
Lors de sa sortie, le film a été très apprécié, soulevant de nombreuses questions et interprétations. Le réalisateur a cependant toujours nié toute explication logique, son œuvre est selon lui un “ cauchemar”.
L’épidémie du sida, quoi qu’ayant pris place vingt ans avant la sortie du film, reste présente en arrière-plan. La Chose est invisible aux yeux, et, à l’image d’une MST, ne se transmet qu’en ayant des relations sexuelles.
Deux scènes marquantes peuvent amener à lire ce film comme une dénonciation de la gestion du sida par les Etats-Unis. Tout d’abord la scène d’ouverture suit une jeune fille pourchassée par quelque chose qu’on ne voit pas. Elle se retrouve apeurée sur la plage, téléphonant à son père pour lui dire qu’elle l’aime, et lui cachant ce qui lui arrive. On regarde une personne qui se sait condamnée à mort, à l’image des malades du sida lorsqu’il n’y avait ni traitement, et qui pour la plupart cachaient cette maladie à leurs proches.
Une autre scène montre La Chose posséder une mère et la rendre incestueuse, puisqu’elle a des rapports avec son propre fils. Cela n’est pas sans rappeler les croyances répandues à l’époque à propos du sida, puisque l’on pensait le Sida transmissibles par les pratiques sexuelles amorales, inceste et homosexualité confondus.
Ce ne sont pas les seuls indices que l’on peut trouver, et se dessine au fil de l’’œuvre une critique de l’inaction de la société américaine face à l’épidémie du sida. Les parents sont absents de toute tentative de sauvetage de leur adolescent.
Le succès qu’a provoqué le film témoigne d’une certaine avancée des perceptions du public envers ses personnages.
1 La traduction anglaise de queer signifie littéralement « bizarre ». Utilisé comme terme péjoratif au XIX pour désigner les minorités sexuelles, celles-ci se le réapproprient dans les années 1990 pour désigner des personnes ne correspondant pas aux normes de sexualités et/ou de genre.
2 Source
3 topos de la fille, seule survivante à la fin du film, on la voit apparaître avec Jamie Lee Curtis dans Halloween de John Carpenter en 1978.
4 « Le Dr Graves est la métaphore la plus évidente du personnage « queer » que la société rejette comme monstrueux. » (notre traduction)
Lilia Penot







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