FICHE TECHNIQUE
Réalisation : Rainer Werner Fassbinder / Scénario : Rainer Werner Fassbinder, d’après la pièce de théâtre éponyme et du même auteur / Production : Michael Fengler / Sociétés de production : Tango Film, Filmverlag der Autoren / Distribution : Carlotta Films / Direction de la photographie : Michael Ballhaus / Montage : Thea Eymesz / Musique : Giuseppe Verdi / Costumes : Maja Lemcke / Décors : Kurt Raab
Interprétation : Margit Carstensen, Hanna Schygulla, Irm Hermann
Année de sortie : 1972
Sous les yeux sévères et impuissants de la domestique Marlene, Petra, riche styliste de mode, entame une liaison avec Karin, mannequin en devenir issue d’une classe sociale plus modeste.
Le huis clos 1 est une forme essentiellement théâtrale, à tel point que sa présence, évidente, n’est jamais verbalisée (c’est plutôt dans les rares et récents cas où le théâtre s’en défait que son absence est questionnée). Transposer cet élément au cinéma est donc intégrer une caractéristique scénique dans un art qui ne l’appelle pas. C’est prendre le risque de faire d’un film une captation filmée, à laquelle le Septième Art n’ajoute rien. Pour Les Larmes amères de Petra von Kant, dont toute l’intrigue se déroule dans une chambre, c’est un risque d’autant plus prégnant que le film est réalisé par l’auteur de la pièce qu’il adapte, Fassbinder. Pourtant, rarement une œuvre de cinéma magnifie autant une pièce par des procédés filmiques.
Il y a, comme au théâtre, des costumes signifiants et travaillés (au cinéma ils le sont aussi, bien ou mal, mais ce travail est souvent plus discret). Petra étant une styliste reconnue, le film joue des possibilités de la mode, l’affublant de robes extravagantes dont le ridicule moque la haute bourgeoisie. Les coiffures, entre cheveux naturels et perruques touffues, participent de cette excentricité visuelle. Comme au théâtre, cette démesure s’inscrit dans un lieu humble, restreint à une unique pièce, mais riche de décorations et d’intelligence de conception. Les décors accroissent la signifiance du film, entre des éléments oppressant le cadre (un tapis imposant, une presque absence de fenêtre, une lumière artificielle tantôt très chaude et tantôt blanche et froide…) et ceux encourageant leur lecture symbolique (la gigantesque fresque de Nicolas Poussin, les mannequins de plastique abandonnés sur le côté). Comme au théâtre, le film est divisé en actes, marqués par une ellipse temporelle que traduit un fondu au noir.
Mais contrairement au théâtre, la caméra cinématographique impose un regard, et ce point de vue forcé magnifie le travail déjà à l’œuvre. Il y a un jeu remarquable des arrière-plans, donnant de l’importance à Petra ou à Karin selon la position de celles-ci dans le cadre. Certains plans sont surprenants mais non moins pertinents. La caméra se trouve ainsi un long moment posée sur le tapis tandis que Petra se lamente au sol du départ de son amante. Les mouvements de la caméra concentrent notre attention, nous forçant à voir certaines choses et nous empêchant d’en regarder d’autres. Il faut affronter la présence violentée de Marlene, lui accorder un intérêt que Petra lui refuse. Si son corps s’efface et se soumet, la caméra le suit et nous confronte à lui. Il y a, enfin, des plans composés comme des natures mortes – les actrices s’immobilisent dans des positions inconfortables, les objets sont posés en créant une dimension picturale que renforce le cadre de l’écran. La musique de Verdi achève de sublimer l’œuvre, ponctuant et exacerbant l’expressivité des séquences.
Le film traîne un peu, il faut s’y attendre et chercher les détails du décor pour ne pas s’ennuyer. Mais il a une force visuelle et une intelligence d’écriture qui en font une œuvre intéressante, agréable à voir, et à l’humour grinçant. Au Sixième Art s’ajoute le Septième et leur association les transcende avec génie. La qualité de dramaturge et de réalisateur de Fassbinder se conjuguent en une œuvre symbiotique et délicate.
Alex Dechaune
1 Un huis clos, ici, est une pièce dont l’action se déroule en un lieu unique et fermé.







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