Juré n°2

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4–6 minutes

Nous vous conseillons vivement d’avoir vu le(s) film(s) traité(s) par nos textes, afin de ne pas être spoilé·es et de mieux comprendre nos propos !

4–6 minutes
FICHE TECHNIQUE

Réalisation : Clint Eastwood / Scénario : Jonathan Abrams / Production : Jeremy Bell, Adam Goodman, Jessica Meier, Tim Moore, Matt Skiena / Société de production et de distribution : Warner Bros Pictures / Direction de la photographie : Yves Bélanger / Montage : Joel Cox, David D. Cox / Musique : Mark Mancina / Décors : Christopher Carlson, Ronald R. Reiss / Direction de casting : Geoffray Miclat / Direction artistique : Gregory G. Sandoval, Daisy Suffield
Interprétation : Nicholas Hoult, Toni Collette, Zoey Deutch

Année de sortie : 2024

Ce film est un scandale.

Les films de procès témoignent de leur époque. Rashômon (Kurosawa, 1950) confronte quatre récits d’un même meurtre et met ainsi en scène la relativité d’un discours ; Douze hommes en colère (Sidney Lumet, 1957) s’attache à l’accusation d’un homme noir innocent dans les Etats-Unis des années 1960 ; Autopsie d’un meurtre (Otto Preminger, 1959) a pour personnage principal l’avocat d’un homme accusé d’avoir tué l’homme qui a violé son épouse ; Anatomie d’une chute (Justine Triet, 2023) inverse les rapports de couple habituels quant aux relations extramaritales et quant à l’engagement domestique et familial. Les films de procès, par leur verdict (judiciaire et narratif) final et par les étapes pour y arriver, décrivent une certaine idée de la justice et de la vérité qu’elle est censée définir.
Juré n°2 suit Justin, futur père de famille, qui est appelé à être juré1 dans l’affaire accusant James d’avoir tué sa femme Kendall après une violente dispute. Au cours du procès, il se rend compte avec horreur qu’il est le réel assassin de la victime : c’est Kendall, et non le cerf qu’il pensait, qu’il a percuté avec sa  voiture en sortant du bar le soir de l’homicide. Le film suit le procès et les délibérations du jury, dans lesquelles Justin défend James, au nom de la justice, tout en se protégeant.
Justin est caractérisé dès la scène d’ouverture comme le compagnon idéal. Attentionné envers sa femme Allison, enceinte, il incarne par son comportement, sa gestuelle douce et son visage angélique, le prototype de l’innocent. Cette figure est nuancée par la suite, puisque Justin s’avère être un ancien alcoolique, mais cette complexification renforce d’autant plus sa perfection qu’il se place en homme ayant changé dans un topos de rédemption par l’amour. Il n’est pas anodin que, là où la bande annonce dévoile d’emblée le dilemme dans lequel il est pris, le film construit Justin comme un époux et un père sans défaut avant d’introduire sa culpabilité et de l’ériger en un « type bien pris dans un engrenage » (citation du film). Quant à sa femme Allison, elle n’apparait bien sûr que très peu et ne sert qu’à incarner une domesticité familiale humanisant Justin.
James est lui aussi gratifié d’une évolution de son personnage. S’il est présenté comme un compagnon violent et trafiquant de drogue au départ, il bénéficie de plusieurs prises de paroles dans lesquelles il se défend. Il insiste alors sur son amour pour Karen, affirme avoir changé (discours classique d’agresseur et/ou d’homme violent), et qu’il n’aurait jamais tué son amante. Son récit est légitimé par la figure sauvée de Justin, leur similitude étant accrue par le titre : « n°2 » trouble leurs dissonances. L’innocence de James est sans cesse rappelée par le film. La caméra, à chaque accusation, encadre abusivement Justin de façon à rappeler qu’il est le vrai coupable. L’accusé, d’ailleurs, est surnommé « kid » tout le film durant, renforçant sa position d’innocent. Malgré le manque de preuves et la défense pathétique2 de James, tout le monde le pense coupable. Seul Justin et un juré policier en recherche de vérité le défendent.
Cinématographiquement parlant, le film est passable. Il exploite mal le rythme et le suspense que permettent un procès à résolution ; ses personnages, mal écrits, sont mal interprétés ; son visuel est fade ; son utilisation de la musique est maladroite. Juré n°2 n’est qu’un ersatz3 de ce qu’il s’est fait de mieux en film de procès. Mais son réel problème est ce qu’il implique.
L’intrigue sous-entend qu’un homme qui violente régulièrement sa femme n’est pas coupable tant qu’il ne l’a pas tuée ; par ailleurs ce comportement agressif et dangereux n’est pas incompatible avec un amour sincère et profond. Le scénario soutient que les hommes accusés de féminicides ne sont pas réellement coupables mais que l’homicide d’une femme est un concours de circonstance. Il laisse croire que les hommes coupables de féminicides sont reconnus comme tels par les instances judiciaires et par l’opinion publique. L’intrigue sous-entend, enfin, que justice et vérité ne vont pas toujours de pair et qu’il vaut mieux sauver un coupable récemment chef de famille plutôt que de libérer un « innocent » et de faire connaître à la famille de Karen ce qu’il s’est réellement passé. La scène finale, ridicule et incomplète, ne sauve pas les deux heures du film, dans lesquelles une avocate couvre le coupable (!) pour s’assurer d’être élue procureure de district, tandis que ledit coupable s’acharne à innocenter James.
Là où les chefs d’œuvres du genre prennent la défense de minorités et dénoncent les préjugés qui leur sont à tort attribués, Juré n°2 se contente de conforter un discours conservateur et misogyne, niant l’existence des féminicides, jamais nommés comme tels.
Il n’est pas dans mes habitudes de le faire mais j’encourage mon lectorat à ne pas donner de visibilité et d’argent à ce film ignoble. A la place, je vous invite à apprécier les films cités plus hauts, géniaux.

Alex Dechaune

1 Les jurés, au nombre de douze aux Etats-Unis et formant un jury par leur assemblée, sont des citoyens tirés au sort afin de rendre un verdict dans un procès.

2 Appelant le pathos, qui émeut.

3 Un ersatz est une copie médiocre, ne parvenant pas à égaler l’original.

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