FICHE TECHNIQUE
Réalisateur : Julien Colonna / Scénariste : Jeanne Herry / Musique : Audrey Ismaël / Production : Hugo Sélignac et Antoine Lafon / Directeur de la photographie : Antoine Cormier …
Interprétation : Ghjuvanna Benedetti (Lesia), Saveriu Santucci (Pierre-Paul)
Année de sortie : 2024
Chasse à l’homme ou chasse au sanglier ? Un thriller au cœur de la campagne Corse, un drame familial où tentent de se trouver père et fille, on oscille décidément entre action et émotion, épique et rustique. Quel incident sépare donc le tir sciemment dévié du tir savamment exécuté ?
Lesia n’aime pas vraiment chasser, et pourtant c’est le couteau à la main qu’elle apparaît pour la première fois. Apportant son aide à une cohorte de mains velues, elle sort de la remorque, empoigne, attache et éviscère la bête aux poils rugueux. Un déversement de boyaux fait détourner le regard à Ghjuvanna Benedetti (Lesia). Si par la suite ses prises de paroles révèlent son amateurisme1, dans ce premier geste la fermeté des traits de la jeune actrice attachent mon affection et ma bonne volonté au reste du visionnage. Si Leisa chasse, et chasse mal par dégoût pour la chose, c’est qu’elle veut vraiment passer du temps avec son père. Cet absentéisme paternel tragique se fait éprouver malgré l’omniprésence déroutante du personnage, toujours là, mais jamais entièrement pour sa fille. Se détachant progressivement de tout ce qui la rattache à sa personnalité, à sa vie, l’enfant s’oublie dans cet héritage éreintant qui la repousse et l’étreint à la fois.
Les yeux ridés et perçants de Pierre-Paul, le paternel, croisent par intermittence le regard vaillant de la caméra, bien souvent juxtaposé à celui de Lesia. Ce sont des orbites pleines d’une vie vécue, d’un “vivre” qui se reconnaît et se célèbre en toute sobriété : dans la peur, dans la haine, et peut-être surtout dans la vanité. Parce qu’il y a quelque chose d’absurde dans cette violence vengeresse, une absurdité qui sans se revendiquer dans les gestes s’impose dans les dialogues. Parler du destin, du devoir, de “ce que l’on doit faire”, c’est parler de rien, brasser du vide, répéter ce que l’on a trop entendu. Mais ce “trop” est juste assez bien dosé par le parler de Saveriu Santucci, dont le personnage s’affaire à clôturer de sens un monde vide de frontières, où l’on pourrait tout simplement partir à l’autre bout de la Terre, où l’on pourrait tout abandonner. Le père et la fille s’interrogent tout au long du film sur la possibilité d’une connexion familiale, sur la cohérence de leur chemin dans ce milieu hostile. La fuite vers un pays lointain se présente au spectateur comme une porte ouverte à la facilité, que referme d’une main ferme le fatalisme grossier et rassurant de cet être aussi viril que fragile. On retrouve là il me semble l’écriture de Jeanne Herry (Je n’oublierai jamais vos visages, Pupille), dont le scénario très psychologique cartographie ce road movie entre villes et visages.
Un royaume, c’est désuet. Qui croit encore aujourd’hui à la monarchie ? Il est temps peut-être de pratiquer à l’honneur de ce film une étymologie inversée, de trouver un avenir fertile dans ce mot aride. Joyaux, armes et arômes ; gratitude, espoir et inspiration. A travers ces balades dans la cambrousse et ces conversations au coin du canapé, quelque chose de cru, un je ne sais quoi de rêche, d’affectueux, et s’il faut le dire, de paternel, abîme je l’avoue mon regard assujetti.
Geneviève Rivière
1 Je ne sors pas ça de mon chapeau, les acteurs du film ne sont pas des acteurs professionnels.







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