Diamant brut

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3–5 minutes

Nous vous conseillons vivement d’avoir vu le(s) film(s) traité(s) par nos textes, afin de ne pas être spoilé·es et de mieux comprendre nos propos !

3–5 minutes
FICHE TECHNIQUE

Réalisation et scénario : Agathe Riedinger / Production : Judith Nora / Maison de production : Silex Films / Direction de la photographie : Noé Bach / Son : Romain de Gueltzl / Montage : Lila Desiles / Musique : Audrey Ismaël / Décors : Astrid Tonnellier / Maquillage : Julia Didier / Script : Laurence Nicoli
Interprétation : Malou Khebizi (Liane), Idir Azougli (Dino)…

Année de sortie : 2024

Diamant brut m’a mis en échec : du début à la fin, je suis resté coincé dans un entre-deux. Pas vraiment ému, pas vraiment de marbre. Pas vraiment happé, par vraiment repoussé. Dissonant, comme si des éléments du film lui-même se contredisaient. Ce n’est pas dans mes habitudes, mais je décide de consulter une critique ou deux pour me débloquer. Bingo ! France Culture, « Diamant brut, le cinéma d’auteur et le regard bourgeois » par Lucile Commeaux. Ce sera là mon point de départ.
La rédactrice a peu aimé le film, il l’a même plutôt irritée, parce qu’il lui semble symptomatique d’un certain regard bourgeois porté sur la société, actuellement en vogue au cinéma.
Je la comprends, car il y a un parallèle évident à faire entre ce film et Anora de Sean Baker. Je m’explique : dans Diamant brut, il est question de Liane, 19 ans, qui habite à Fréjus. Elle vient d’une famille dysfonctionnelle, sa mère parvient à peine à subvenir à ses besoins et à ceux de sa petite sœur, mais elle reste pleine de rêves et d’ambition. Comme Anora, Liane veut braquer le système, ne pas finir comme ses copines qui peu à peu rentrent dans ses rouages. Elles travaillent dans un institut de beauté, ont des enfants, parlent de se fiancer : elles perdent espoir, deviennent institutionalized, leur dirait Morgan Freeman dans Les Evadés1. Liane décide donc de tenter sa chance dans la téléréalité, un choix qui pourrait lui rapporter le jackpot, presque logique au vue des autres opportunités qui s’offrent à elle, mais un choix que personne ne semble comprendre et qui lui vaut une tonne d’emmerdes avant même que le succès ne pointe le bout de son nez.
On a donc une prétendue récurrence qui peut passer pour une tendance symptomatique du cinéma de notre époque : des cinéastes bourgeois tels que Sean Baker et Agathe Riedinger filment les classes défavorisées toujours de la même façon. En deux mots, il s’agirait pour ces réalisateurs de montrer leur bonne volonté en cessant de dénier à leurs sujets toute possibilité d’accéder au beau par la mise en avant de la  propre beauté de ces classes, de leurs “Diamants bruts”. Nul besoin ici de préciser qu’une telle perspective reste problématique, puisqu’elle repose toujours sur la même hiérarchie sociale que précédemment, les bourgeois qui font les films ne remettent pas en question la pyramide du bon goût. Ils se placent toujours eux-mêmes au sommet et ne font qu’élever d’une case ou deux ceux qu’ils oppressent, en suggérant qu’ils sont certes pour certains des « diamants », mais qu’ils restent « bruts » : ils ne seront un produit fini qu’une fois façonnés par la bourgeoisie.
Un point précis vient étayer cette hypothèse : le rapport de la réalisatrice à son actrice principale, Malou Khebizi. Le fait que cette dernière ait été repérée lors d’un casting sauvage ne joue pas en faveur de la réalisatrice, car on devine derrière l’écran une trajectoire réelle de l’actrice très proche de celle de son personnage. Or de la façon dont l’histoire de Liane nous est racontée, elle n’a rien d’une success story bien policée, et l’on ne peut pas vraiment souhaiter que tout ceci soit précisément la réalité de l’actrice. Plus encore, les procédés esthétisants déployés tout au long du film – le format trois quarts, véritable marque du cinéma d’auteur, le traitement sophistiqué de la colorimétrie et la partition récurrente de violoncelle – jurent parfaitement avec le naturalisme souhaité des acteur·ices. D’où l’impression d’un film qui renvoie simultanément deux sons de cloche différent, qui se veut à la fois ode à la beauté du populaire tout en réaffirmant sans cesse la “vraie” beauté bourgeoise. Comme s’il fallait rassurer le public.

Baptiste Hoarau

1 On pourrait traduire par “institutionalisé”. Désigne le fait qu’une personne ayant vécu longtemps sous les règles d’une institution perd sa capacité à penser par elle-même. Dans le film, le personnage de Morgan Freeman évoque souvent cette notion à propos du fait de sortir de prison : il met en garde son ami Andy Dufresne (le nouvel arrivant) contre le danger de s’habituer si bien à la prison qu’on ne s’imagine même plus en sortir.

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