FICHE TECHNIQUE
Réalisation : Mareike Engelhardt / Scénario : Mareike Engelhardt, Samuel Doux / Décors : Dan Bevan / Costumes : Catherine Cosme / Photographie : Agnès Godard / Son : Guilhem Clarinval, Alexis Jung, Claire Cahu, Xavier Thieulin / Montage : Mathilde Van de Moortel / Production : Lionel Massol, Pauline Seigland
Interprétation : Megan Northam (Jessica / Rabia) / Lubna Azabal (Madame) / Natacha Krief (Laïla)
Année de sortie : 2024
Un quotidien injuste et oppressant, un message sur internet et la promesse d’une vie nouvelle : ces quelques éléments incitent Jessica et son amie Laïla à quitter la France pour se marier toutes les deux à un même soldat de l’Etat Islamique. Jessica est aide-soignante dans une maison de retraite. Son dernier jour en France raconte ce qui la pousse à partir : elle est surmenée, éreintée au point de brutaliser une personne âgée dont elle doit s’occuper. On comprend sa lassitude du système qui l’oppresse. Mais à peine arrivée à Raqqa1, dans la Malafa2 66 qui sera sa maison jusqu’à ce qu’elle se marie, elle émet des doutes. Son amie Laïla, au contraire, est absolument ravie de sa nouvelle vie. Très vite la balance s’inverse. Entre violences conjugales et fuite ratée, celle-ci vit un enfer. Au contraire, Jessica, de sa nouvelle appellation Um Rabia, vire complètement de bord. Elle devient seconde de Madame, la baronne charismatique qui gère la maison d’une main de maître.
Après les premières scènes introductives, le récit se referme en huis clos ; l’espace du film est la Malafa. Celle-ci est représentée d’emblée comme une usine dans laquelle les femmes sont traitées comme de la marchandise. Avant d’y entrer, elles doivent se déshabiller, renoncer à leur intimité, et s’uniformiser en revêtant une même tenue. Puis, elles sont regroupées pour entendre les règles de communauté. En arrière-plan, certaines partent, d’autres reviennent, créant un mouvement perpétuel et machinal, objectivant plutôt qu’individualisant celles déjà présentes dans la Malafa. Il n’est pas anodin, alors, que le film ait été tourné dans une ancienne usine désaffectée.
S’il est complexe de représenter le phénomène de radicalisation, Rabia y réussit en créant un récit aux parcours pluriels, en insérant des personnages secondaires forts grâce à ces allers et retours. Malgré leurs histoires différentes, elles reviennent toujours au sein de la Malafa, prises au piège dans le même engrenage. C’est le cas de Uum Zayd, jouée par Lena Urzendowsky. La jeune femme subit l’intimidation de Madame après avoir été rejetée par son mari pour ne s’être pas bien comportée. Filmée en plongée, elle ne peut rien dire, mais son silence en dit long sur la détresse qui inonde ses yeux.
Au sein de cette maison, tout le système est montré à la caméra : on voit les recruteuses naviguer sur Facebook pour chercher leur prochaine victime, on voit la violence de Madame et des punitions physiques et psychologiques qu’elles endurant ; mais on voit aussi les naissances et les enfants qui grandissent. Jessica et Laïla rencontrent d’autres Françaises arrivées un peu plus tôt. Assises sur le sol qui leur servira de couchages, elles se chamaillent joyeusement pour savoir à qui revient le parfum que l’une a apporté. Le contraste entre ces scènes et les moments de violence fait transparaître toute l’horreur de ce que vivent les personnages.
Le film est un véritable panorama de leur vie, de leur enrôlement, mais aussi de leur endoctrinement et des processus de manipulation qui les conduit à la décision de se radicaliser, tout en étant persuadées de faire le bien. C’est là encore le huis clos qui nous permet de suivre leurs journées dans la diversité de ce qu’elles y font, sans toujours se concentrer sur la violence qu’elles subissent.
Pour assurer une représentation la plus juste possible, une témoin ayant subi le même parcours que les personnages était présente depuis l’écriture du scénario jusqu’au tournage. Ce témoignage est rare et précieux, car les femmes rescapées de l’Etat Islamique ne sont presque jamais acceptées sur les territoires occidentaux pour leur rapatriement, notamment en France où a été tourné une grande partie du film. Rabia réussit, grâce à cet ancrage d’un récit réel et subjectif, à faire sentir la complexité d’un enrôlement au sein de l’Etat Islamique
Maxime-Lou
- Raqqa est une ville du centre de la Syrie. Entre 2013 et 2017 elle était la plaque tournante de l’Etat Islamique. ↩︎
- Une Malafa est une maison dans laquelle attendent les futures femmes des soldats de l’Etat Islamique avant d’être mariées. C’est donc dans les Malafas qu’arrivent les femmes venues de l’étranger comme Jessica et Laïla. ↩︎







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