Walden

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Nous vous conseillons vivement d’avoir vu le(s) film(s) traité(s) par nos textes, afin de ne pas être spoilé·es et de mieux comprendre nos propos !

FICHE TECHNIQUE

Jonas Melkas à tous les postes

Est-ce qu’un film est fait pour être regardé en entier ? Si personne ou presque ne quitte une salle de cinéma en pleine projection, ce doit être que oui, il y a bien une bonne raison de les regarder du générique de début au générique de fin. Même si on le regarde chez soi ? Toustes celles et ceux qui ont un compte Letterboxd répondront que oui, on n’ajoute pas à son diary un film dont on a seulement vu des extraits ou qu’on n’a pas vraiment fini ! A eux se joignent les cinéphiles en croisade pour le respect de leurs révérés chefs-d’œuvre : un film, un GRAND FILM, se doit d’être vu seulement dans un cinéma. Sinon c’est du gâchis, les films sur une télé ou un PC c’est du grand n’importe quoi, de la gourmandise d’images tout au plus. Pendant que ces grands orateurs nous bassinent de cette sempiternelle rengaine, un petit groupuscule encore plus étrange qu’eux fulmine sans oser pourtant les contredire ouvertement. On les appelle : les fans de cinéma d’avant-garde. Il y a une chance sur deux pour qu’ils soient étudiants en cinéma, qu’ils se rendent tout autant au cinéma que les cinéphiles, et pourtant, c’est au musée que vous les trouverez la plupart du temps.
Car oui, on ne nous apprend rien à l’école, mais en fait dès qu’il y a une quelconque forme de vidéo dans un musée, la question : “est-ce du cinéma ?” peut être posée. Et il y a toute une production pour ça, et même un public ! Globalement, tout ce qui est trop bizarre pour passer au cinéma est présenté là-bas.
Bref, le film dont je voudrais parler se nomme « Walden », parfois aussi connu sous le nom de « Diaries, notes and sketches », et a été réalisé en 1969 par Jonas Mekas. Ce dernier fait partie des avant-gardes New-Yorkaise des années 1960-70, et est connu principalement pour être l’inventeur de ce que l’on appelle, depuis Walden, le ciné-journal.
Mais qu’est-ce que le ciné-journal ? Eh bien décrire Walden nous en donnera une idée assez précise. Au total le film dure 2h45, et il se compose d’épisodes de vie captés par le cinéaste, qu’il s’agisse d’évènements absolument quotidiens ou plus extraordinaires. On ne comprend pas toujours tout ; des fois il y a des cartons intertitres, pour qualifier la séquence à suivre, des fois pas. L’impression générale qui en ressort est celle d’un grand fouillis. Ce sont 2h45 d’extraits de vie, de souvenirs non traités, qui défilent devant nos yeux à une vitesse trop élevée pour qu’on comprenne tout, et en bonus l’absence de lien narratif cohérent nous donne l’impression de ne pouvoir rien retenir.
Alors, que fait-on dans ce cas là, est-ce que l’on regarde en entier ? Est-ce que c’est ça la pleine expérience du film, est-ce que les cinéastes d’avant-garde sont encore pire que ceux de la Nouvelle Vague, est-ce qu’ils aiment encore plus nous torturer en nous proposant des films plus longs et où il se passe encore moins de choses ? Eh bien j’ai testé pour vous (parce que je devais voir ce film pour un projet d’études, alors je devais être sûr de ne rien rater), et devinez quoi : j’aurais sûrement préféré manger du sable que passer ces 2h45 seul sur mon canapé à tenter de venir à bout de ce film. Surtout que, petite touche d’ironie, environ aux trois quarts du film, le cinéaste rappelle à demi-mots que l’on ne doit pas se sentir obligé de regarder ces images pendant des heures. Mais alors que sommes-nous supposés faire, si même le réalisateur nous dit « franchement, jetez l’éponge » ?
Vous l’aurez peut-être deviné, cette œuvre a été créé pour un dispositif bien particulier : celui de la projection en boucle dans un musée (souvent d’art contemporain). Dans ces lieux, c’est une pratique courante que de trouver des petites salles de projection où des films passent en boucle, où le public rentre et sort à sa guise, ne voyant presque jamais une œuvre dans son intégralité, car ici ça n’a pas vraiment de sens, ou plutôt ce n’est pas l’usage. Quand je m’imagine voir Walden dans ces conditions là, je comprends mieux : comme ce doit être beau de rentrer dans la salle, de voir quelques séquences choisies par le hasard qui nous a fait venir à tel ou tel moment, puis de repartir pour poursuivre sa visite ! Walden se voit comme on lit un recueil de poèmes : il faut en découvrir quelques-uns, se laisser envahir par leur beauté, laisser le temps à ces quelques mots de nous toucher. Ne pas chercher à tout voir, ne pas chercher à tout lire.
Pour conclure, et recentrer mon propos un tant soi peu autour du film dont j’étais censé parler, Walden est une œuvre magnifique, Mekas nous laisse comme regarder par-dessus son épaule dans ce grand carnet où il aurait écrit mille petits poèmes sur le passage du temps, des saisons, des visages devant nos yeux, sur toutes sortes de défilement qu’il essaie d’enregistrer, parce que le temps passe trop vite, sans jamais les enfermer, sans jamais casser ces flocons de temps par une poigne trop vigoureuse.
Maintenant, pour décentrer à nouveau mon propos, j’aimerais soutenir à partir de cet exemple qu’il y a mille façons de profiter d’un film. Si l’on accepte la diversité des dispositifs « institutionnels » (cinéma, cinémas de musée, installations, etc.), il faut aussi reconnaître qu’il y a une expérience propre des films à la maison, sur une télé, un ordinateur, un téléphone, qu’il est possible de faire des pauses, de manger en même temps ou de regarder d’un œil distrait : parce que tout ça c’est aussi un peu avoir vu et qu’au final le cinéma n’est qu’à propos de ça. Avoir vu des images qui bougent.

Baptiste Hoarau

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