Rachel Rudloff est documentariste et étudiant en cinéma. Il a réalisé Le Jaune du Ciel en 2023, un film expérimental de cinq minutes.
Elise Levy est diplômée de La Fémis en scénario. Elle réalise pour ses études un premier court-métrage, Minuit sur MSN, puis un second, La Rivière.
Mica Albanese est cheffe opératrice. Elle a étudié à la Fémis et est notamment directrice de la photographie de Minuit sur MSN et de La Rivière.
Minuit sur MSN et Le Jaune du Ciel ont été présentés en 2024 au festival Cineffable, auquel notre rédactrice Alex Dechaune était présente.
Cineffable
Alex Dechaune : Vos films ont été projetés à l’édition 2024 de Cineffable1. Avez-vous un rapport particulier à ce festival, en tant que spectateur·ice et en tant que cinéaste ?
Mica Albanese : J’avais déjà entendu parler du festival mais c’est la première fois que j’y présentais un film. J’étais très impressionnée, je ne m’attendais pas à autant de gens. Il y avait une ambiance particulière, quelque chose tenant du rituel, de la communauté. C’était beau d’y être.
Rachel : J’y vais depuis que j’habite à Paris, depuis le début de ma vie de lesbienne, donc depuis que j’ai dix-huit ans. Je vais souvent aux séances de courts-métrages. C’est dans ce festival que pour la première fois j’ai vu des lesbiennes de tous âges réunies en un même endroit. Ça reste très cisgenre et blanc, mais il y a une force de génération assez rare.
Alex : Est-ce vous qui y avez inscrit votre film ?
Elise Levy : La productrice de Minuit sur MSN et moi-même avons inscrit le film dans des festivals sans catégories. C’est un film d’école, La Fémis nous inscrivait à des festivals officiels. Mais pour Cineffable, ça vient de nous.
Rachel : J’ai des amis dans la programmation qui m’ont demandé s’ils pouvaient envoyer mon film. J’ai accepté. Moi, ça me stressait trop pour que je le fasse.
Sur un cinéma queer
Alex : J’ai suivi un cours au Forum des images sur la comédie romantique et l’inclusion des minorités en son sein. Y étaient distingués deux cas de figures : des films qui reprennent les codes de la romcom hétéro et y intègrent des personnages LGBT2 ou racisés sans que l’homosexualité ne change l’intrigue, et des films dans lesquels ce changement implique une charge politique. Est-ce des questions qui se sont posées quand vous écriviez votre film ? En général, que pensez-vous de cette dichotomie banalisation/politisation ?
Rachel : Mon film n’est pas du tout une comédie romantique mais c’est tout de même une chose à laquelle je réfléchis. Récemment j’ai vu Les Reines du drame d’Alexis Langlois. J’ai adoré ce qu’il proposait, c’est-à-dire des personnages qui n’étaient pas normaux. Le fait d’être accepté·e passe par le fait d’être respecté queer, différent, bizarre. C’est appréciable de ne pas forcément devoir rentrer dans les normes, ça permet que ce soient les personnes hégémoniques qui ouvrent leur espace plutôt que d’y soumettre les autres.
Elise Levy : Quand j’ai écrit le film je me suis pas du tout posée la question en ces termes. Je savais assez précisément l’histoire que je voulais raconter, et cette histoire a amené le genre d’elle-même. Comme c’était un drame de ma propre adolescence, ç’a donné un drame teen movie. Je savais par contre que j’avais envie d’aller vers une forme de narration assez accessible. Je ne voulais pas qu’il s’adresse uniquement à des cinéphiles mais qu’il puisse être aimé par des adolescent·es. Quant à la comédie romantique en général, je pense qu’il faut se saisir de toutes les formes pour toucher tous les publics. Après c’est selon les goûts du/de la cinéaste. On peut faire un film industriel mais avec un message politique. Quand c’est réussi, ça touche un public encore plus large, c’est fort. Ça ne veut pas dire qu’on est toustes obligé·es de faire ça.
Lilia Penot : A l’inverse, il y a des cinéastes qui revisitent beaucoup la forme et la narration mais sans forcément prendre explicitement un sujet queer. Je pense notamment à Todd Haynes avec Poison (1991) et I’m Not There (2007).
Rachel : Je n’ai pas regardé ceux que tu cites mais j’en ai sûrement déjà vu d’autres avec une forme queer et un sujet qui ne l’est pas. Mais est-ce que ce n’est pas utiliser des codes queer, s’en servir, tout en s’assurant une meilleure réception parce qu’ils ne les exploitent pas ? En même temps, c’est bien qu’il y ait plein de genres différents au sein des films LGBT.
Lilia : D’après Todd Haynes un film avec pour protagonistes des gays ou des lesbiennes n’est pas forcément queer, il ne l’est que si la forme suit.
Mica : C’est le risque aussi, de juste mettre des personnages non-hétéros. Ça ne suffit pas pour faire un film queer, c’est juste remplacer des personnages.
Elise : Ça me fait penser au film Ma belle-famille, Noël et moi (Cléa Duvall, 2020). La forme n’est pas queer, et cinématographiquement il ne me plait pas forcément, mais le fait qu’il existe et qu’il soit sur Netflix est important. Je l’ai vu avec mon ex et son père et c’était gênant, mais nécessaire. On n’aurait pas regardé de Todd Haynes à trois.
Alex : Est-ce important pour vous d’ouvrir les films queer à un public plus large ? Je pense à Louiza Aura3, pressentie pour le César de la meilleure actrice.
Rachel : Je suis mitigée. On perdrait cet aspect de sous-culture, qui est hyper important dans notre communauté. Ce serait trop bien qu’on ait notre place dans le système institutionnel, mais ça veut aussi dire faire des sacrifices. Alexis Langlois disait qu’elle avait eu du mal à avoir des financements pour son film. Elle a dû réécrire le scénario et renoncer à certaines choses.
Mica : Il y a des contradictions et des problèmes inhérents au statut mainstream d’un film. Il suffit de voir Emilia Perez (Jacques Audiard, 2024) pour s’en rendre compte.
Rachel : C’est très bien qu’il existe des festivals LGBT et notamment en non-mixité, ça permet de découvrir les films autrement et de les voir en communauté. Mais c’est possible que les deux coexistent, à la fois ces espaces restreints, et à la fois et une diffusion plus large.
Elise : La réception du film est changée par l’endroit où il est vu. Dans des festivals généralistes, le public pouvait apprécier Minuit sur MSN mais la salle restait très silencieuse. A l’inverse, dans des festivals comme le BFI Flare à Londres, les spectateur·ices étaient mort·es de rire. Les gens peuvent être cinéphiles mais iels ne viennent pas que pour le cinéma, iels sont aussi là pour faire communauté et se voir à l’écran. Ça crée quelque chose, il y a un vrai lien entre les gens de la salle. Iels sont au moins liés par le fait d’avoir choisi un festival queer et d’y chercher une famille de cinéma. C’est très important que ça continue à exister et de ne pas en faire des festivals mainstream. Mais c’est aussi important que les sujets queer s’emparent de tous les genres et de toutes les formes.
Mica : Ce qui est compliqué aussi est de savoir quelle est la volonté d’un film queer. Elise n’a pas voulu faire un film de genre parce que les personnages étaient queer. Quand on travaille avec des personnes straight4 dans l’équipe technique, les films queer sont traités comme des films de genre, un genre queer. La représentation est une chose, l’utilisation de cette représentation pour profiter de certaines choses en est une autre. En tant que cheffe opératrice, je suis appelée tout le temps pour ça. Si j’étais cheffe opératrice de films de science-fiction on m’appellerait tout le temps pour de la science-fiction, là c’est pareil mais pour des films queer. Sauf qu’ils n’ont pas tous la même esthétique, la même direction artistique.
Elise : Il y a aussi un côté sous-catégorie pour les festivals. Être sélectionné·e dans un festival queer ne va pas asseoir la même légitimité. C’est toujours moins bien, moins connu, moins reconnu. En même temps, on n’a pas forcément envie que ces festivals deviennent comme ceux plus généralistes.
Alex : La sélection des festivals queer se fait-elle exclusivement parce qu’un film est queer ? Est-ce qu’ils sélectionnent des films dont les personnages sont queer ou des bons films avec des personnages queer ?
Mica : C’est la question que je pose. Est-ce qu’on valorise un film juste parce qu’il est queer ou est-ce qu’on peut trouver un équilibre entre ce qu’on veut produire et montrer et ce que vaut le film en lui-même ? La forme du festival queer est à interroger en ce sens.
Alex : Les festivals queer restent souvent cloisonnés aux grandes villes, ce qui interroge sur l’intégration d’une queerness dans des villes plus provinciales et en campagne. Est-ce quelque chose auquel vous pensez, sur lequel vous essayez d’agir ?
Elise : Pour ma part pas vraiment, le film va dans tous les festivals qui le sélectionnent pour être vu par le plus de personnes possibles. On a eu quelques festivals dans des petites villes, comme à Izmir, dans une université en Turquie. Ce qui fait la différence est la politique du festival. Le FIFF, le festival de Creteil, fait un travail incroyable. Iels font venir plein de classes de lycéen·nes avec qui, pendant six mois à un an, on produit des podcasts ou des films ensuite projetés pendant le festival. Un débat avec les élèves est ensuite organisé. De tout ce qu’on a fait, c’est l’expérience qui a eu le plus de sens pour moi. On rencontrait des jeunes qui n’avaient pas encore fait leur chemin par rapport à leur sexualité. Certain·es étaient très gêné·es devant le film, surtout les garçons. Paradoxalement, j’étais très heureuse que mon film, qui se déroule dans un lycée de filles et n’a pas de protagoniste masculin, soit vu par des garçons. Ça les gênait, ça les faisait réagir. Au-delà du lieu où se passe le festival, c’est intéressant de regarder comment il essaye d’amener des gens qui n’iraient pas forcément voir ces films d’eux ou d’elles-mêmes.
Le cinéma et iels
Alex : Dans notre interview de Gio Ventura, il expliquait que son envie de faire du cinéma venait du fait de ne pas se voir dans les films et de vouloir amener lui-même ce qu’il n’arrivait pas à trouver. D’où vient la vôtre ?
Rachel : La mienne remonte à loin, à avant que je me dise lesbienne. C’était plutôt quelque chose de lié à l’imaginaire. Il y avait un monde extérieur, et un monde dans lequel je pouvais me projeter et m’échapper. J’ai des envies différentes dans le cinéma mais toutes partent de cette volonté de faire exister un monde qui n’existait pas. J’aime aussi l’idée de créer ce monde à plusieurs, qu’il y ait tant de personnes qui travaillent à faire exister quelque chose de fictif.
Elise : J’ai le même rapport à la projection d’un imaginaire, à un besoin de visualiser quelque chose pour y vivre. Il y a deux films clés dans ma construction à la fois personnelle et de cinéaste. Le premier est Virgin Suicides de Sofia Coppola (1999), que j’ai vu à dix ans. On sent dans la mise en scène que c’est une femme qui le réalise, je me suis reconnue dans son rapport au monde, dans sa sensibilité. C’était la première fois aussi que j’admirais une réalisatrice et que je pouvais la nommer, et je pense que ç’a été une première étape dans le fait de vouloir devenir réalisatrice. A treize ans j’ai vu Naissance des pieuvres (2009) de Céline Sciamma, qui a eu le même impact pour moi, et a aidé ma compréhension de la sexualité. J’ai besoin de voir les choses pour mieux les vivre et je voudrais participer à ça.
Mica : Je ne suis pas réalisatrice mais mon rapport à l’image vient du même endroit. En 2024 il n’est pas possible de faire quelque chose que personne n’a fait. Toutes les histoires ont déjà été racontées. Mais je pense qu’il y a des manières de s’approprier certaines choses et j’essaie de le faire dans mon travail de l’image. On peut travailler l’image d’un film mais ce qui prime c’est le fond, la narration, l’univers du/de la réalisateur·ice. J’essaye de les traduire par la lumière et la caméra. Et dans cette traduction il y a un travail de création, même s’il est infusé d’inspirations. Les films permettent aussi d’explorer certains endroits qui ne sont pas beaucoup vus ou au contraire d’explorer différemment ce qui est trop représenté.
Elise : Comment as-tu voulu être cheffe opératrice ? C’est un métier moins connu, et très masculin.
Mica : A dix-huit ans je suis rentrée en école de cinéma parce que je voulais réaliser, et c’est là-bas que j’y ai appris ce métier. Ce que j’aime – l’écriture, faire de la musique, prendre des photos – c’est faire partie de la mise en scène et y apporter mon regard. C’est plutôt créer des univers que réaliser qui me plait, j’ai trouvé ma place sur les plateaux comme ça. Ça s’est fait assez naturellement et ça m’a plu. Je suis technicienne avant tout mais avec le temps je trouve des projets qui me parlent et mes collaborations me font m’interroger sur mon esthétique.
Alex : Minuit sur MSN est un film assez autobiographique ; Le Jaune du ciel est une adaptation d’un texte à la première personne. À quel point l’écriture cinématographique est-elle un procédé cathartique pour vous ?
Elise : Le fait d’écrire part de pleins d’endroits. Souvent les premiers films viennent d’un besoin de dire qui ne trouvait pas d’autres formes d’expression ou de compréhension. Minuit sur MSN était vraiment ça pour moi. C’est une histoire à laquelle je repensais beaucoup, et dont j’avais peu parlé. Je l’avais en travers de la gorge, je n’avais pas réussi à la vivre. Je dis souvent que le film a été une consolation mais aussi la possibilité de rendre justice à un premier amour que je n’ai pas su vivre. Ça a été très cathartique donc, et ça m’a aussi permis de comprendre ce qui c’était passé. Je ne savais pas tout quand j’ai commencé à écrire.
Rachel : Pour moi c’est pareil, l’écriture a été cathartique. Le texte est inspiré de Colza, de Al Baylac (2022). Il traite son rapport à la ville, à la nature, à l’enfance, au corps. Il m’avait beaucoup marqué, personnellement et esthétiquement. Mon film Le Jaune du ciel l’adapte, mais pas à l’identique. J’ai beaucoup discuté avec Al Baylac et j’ai coupé, remonté, réécrit le texte. C’est devenu un moyen de dire qui j’étais, parce que je n’arrivais pas à le faire autrement. Mon rapport au monde est passé par le cinéma. J’ai besoin de voir et de montrer des films pour montrer qui je suis. C’est un moyen d’expression et de construction, et une possibilité de le formuler à d’autres gens qui ne vivent pas la même expérience que moi.
Lilia : Vous avez dit qu’Alexis Langlois avait dû faire des concessions pour son film. Je pense à The Doom Generation de Greg Araki (1995), qu’il a ironiquement sous-titré « The only heterosexual movie », car c’est son producteur qui avait insisté pour qu’il sorte des sujets queer pour attirer du public et de l’argent. Pensez-vous qu’aujourd’hui, en 2024, il soit plus facile de faire produire un film queer ?
Elise : Je ne sais pas encore. Je n’ai fait que des films d’école dans lesquels personne ne posait de conditions à ce que je racontais. J’ai peur de le découvrir là, avec le long-métrage que je prépare. J’ai déjà senti une limite dans la compréhension de certains producteurs, d’hommes d’un certain âge. Mais sur le reste des discussions je n’ai pas senti de freins. Je pense que s’il y a des obstacles ils se situent moins du côté des producteur·ices que du côté des commissions. Les premier·es décident de t’accompagner donc iels comprennent au moins un peu ce que tu veux faire. Les seconds sont des gens qui ne sont pas ton binôme artistique, mais il te faut quand même leur aval.
Rachel : Mon film est autoproduit et je l’ai fait seul, ce n’est donc pas une question que je me suis posée. Mais ça m’interroge régulièrement et ça me fait m’interroger sur mon envie d’être réalisateur. Est-ce que j’ai envie de sacrifier et de retoucher des choses si les commissions me le demandent ? Je ne sais pas.
Lilia : Céline Sciamma expliquait qu’elle se posait aussi la question depuis Portrait de la Jeune Fille en Feu (2019). Elle ne sait pas si elle veut participer à ce système patriarcal, et a réalisé Petite Maman (2021) comme son dernier film.
Rachel : Ça rejoint ce qu’on disait. C’est aussi un certain type de films LGBT qui sont à la mode : ceux qui reprennent des codes classiques qui peuvent être vus et compris de toustes. Mais les films vus et compris par la communauté sont considérés comme risqués et ont du mal à trouver des financements.
Elise : Pour moi le premier endroit où doit se situer l’engagement dans le cinéma n’est ni dans le sujet du film ni dans sa forme, mais dans son processus de fabrication. Ça concerne celleux dont tu t’entoures, avec qui tu fais les films, comment tu les fais. Pour le moment je n’ai eu que des expériences très positives. Minuit sur MSN était fait presque exclusivement avec des femmes ou des personnes queer. Presque, parce qu’en régie on n’avait pas la possibilité d’imposer ce choix. La Rivière, que j’ai réalisé après Minuit sur MSN, était aussi principalement composé de femmes et de queer, même si on a dû faire des concessions par manque de temps. Les tournages ont été idylliques. Il y a une autre question qui n’est pas celle du patriarcat mais celle du capitalisme, et qui pose de vrais problèmes dans la façon dont on fait des films. On se retrouve toujours dans une lutte contre le temps qui est telle qu’on maltraite les gens. L’intensité de l’effort qu’on leur demande, la pression dans laquelle on est, la façon dont on doit tourner, ne respectent parfois pas le droit du travail. Il y a des heures supplémentaires non payées et des amplitudes horaires folles. On se retrouve dans des systèmes d’exploitation dont il est très difficile de sortir, parce que l’industrie du cinéma est comme ça, même avec un·e producteur·ice bienveillant·ice. En moyenne les longs-métrages se tournent aujourd’hui sur beaucoup moins de jours qu’avant. C’est à cet endroit-là que je me pose des questions sur mon envie d’être réalisatrice.
Mica : Ce sont d’ailleurs souvent les films queer qui demandent un travail bénévole, puisque ce sont ceux qui peinent le plus à trouver des financements.
Leur regard sur le cinéma des autres
Alex : En tant que spectateur·ice, avez-vous des films à conseiller, auquel vous tenez ? La Jetée veut aussi faire connaître des cinémas rarement mis en valeur.
Mica : Ce qui me vient instinctivement, plus sur la question capitaliste que sur la question queer, c’est La chimera et Lazzaro Felice. C’est toute la filmographie d’Alice Rohrwacher que je conseille et aussi de Lucrecia Martel, une cinéaste argentine. La ciénaga est mon film préféré. Martel est très connue en Argentine mais ici à Paris les gens semblent la découvrir seulement. Sa filmographie est incroyable pourtant.
Rachel : Je viens plutôt du documentaire. Ça reste une industrie commerciale mais il y a beaucoup moins d’argent et donc beaucoup moins de pression. Ce sont des films faits plus humainement, à équipes plus réduites, dans une autre temporalité. Je pense à Dahomey, de Mati Diop (2024). Il mêle très bien l’expérimental, la fiction et le documentaire, et la forme comme le fond sont très politiques. Il y a aussi le documentaire argentin Nos corps sont vos champs de bataille (2016). Il traite d’un collectif de femmes transgenres en Argentine. La réalisatrice, Isabelle Solas, l’a fait avec ses sujets, elle ne les surplombe jamais. Je m’intéresse beaucoup aux formes de documentaires qui représentent des collectifs.
Elise : Un film documentaire me vient en tête, très politique dans sa réflexion sur l’intime et le cinéma. Il est de Payal Kapadia, qui vient de sortir All we imagine as light (2024). Son premier long, Toute une nuit sans savoir (2021), est une sorte de journal intime où elle raconte sa vie d’étudiante de cinéma en Inde. Elle explore la manière dont cette identité de femme, d’étudiante, et de cinéaste, la traversent simultanément et politiquement. La répression du gouvernement agit aussi sur son intimité, puisqu’elle vit une histoire d’amour impossible dans cet espace. Je trouve ça fort. C’est un documentaire d’une grande poésie et d’une grande singularité esthétique.
Mica : Avec Elise nous avons vu un docu-fiction de Lola Arias, une metteuse en scène. Cineffable projetait Reas, un documentaire mis en scène, un documentaire comédie musicale. Il est incroyable. La cinéaste fait revenir des femmes anciennes détenues en prison. Cette exploration et cette redécouverte d’un lieu autrefois fréquenté sont une des constantes de l’œuvre d’Arias : elle le fait aussi au théâtre par exemple. Elle travaille avec les vrais corps de vraies personnes, sur leurs vécus. Dans Reas ce sont d’anciennes prisonnières de la prison de Caseros, une des plus grandes et plus connues d’Argentine. Le film est vraiment bien, notamment dans la manière dont il aborde la collectivité.
Interview réalisée le 20 novembre 2024 par Lilia Penot et Alex Dechaune
- Cineffable est une association française dont l’objet est de promouvoir le cinéma lesbien, à travers le Festival international du film lesbien et féministe de Paris « Quand les lesbiennes se font du cinéma ». Le festival, créé en 1989, est le plus grand évènement lesbien de France. ↩︎
- Dans cette interview nous employons « LBBT » comme synonyme de queer, et non dans son sens réduit de « Lesbiennes Gays Bisexuels Transgenres ». Par queer, nous entendons celleux qui ne sont pas straight. ↩︎
- Une des deux acteur·ices principal·es des Reines du drame. ↩︎
- Par personnes straight nous nous appuyons sur Monique Wittig (La pensée straight) et désignons toutes les personnes non-queer, c’est-à-dire correspondant au moins partiellement à une figure hégémonique (cisgenre/blanc/hétéro/homme/riche… ↩︎
POUR ALLER PLUS LOIN
Découvrez notre article La France sera lesbienne. Alex Dechaune revient sur les courts-métrages présentés par Cineffable en 2024, parmi lesquels Minuit sur MSN et Le Jaune du Ciel.







Réponds et partage anonymement ton point de vue sur la question ! Peut-être que l’auteurice te répondra…