FICHE TECHNIQUE
Réalisation : Franck Dubosc / Scénario : Franck Dubosc, Sarah Kaminsky / Musique : Sylvain Goldberg, Valérie Lindon / Production : Sidonie Dumas, Bastien Sirodot, Cédric Iland, Marc Vade / Direction de la photographie : Dominique Fausset, Ludovic Colbeau-Justin / Distribution : Gaumont Distribution, Pour toi public productions, France 2 Média, UMédia
Interprétation : Franck Dubosc, Laure Calamy, Benoît Poelvoorde, Joséphine de Meaux, Mehdi Meskar, Kim Higelin, Timéo Mahaut
Année de sortie : 2025
Attention, il y a de gigantesques spoilers dans cet article, et ce dès le deuxième paragraphe. A votre place j’irai voir le film tout de même, que ce soit avant ou après votre lecture (nécessaire et obligatoire).
Étrange conte de Noël, vous dira-t-on. Étonnant, et un peu subversif même, pour une comédie française. Dans cette enquête policière, on voit des gens nus, et pas que des femmes, ni même que des jeunes ! Dans ce thriller, on suit le parcours incongru de trois cadavres, traités avec un certain cynisme qui n’exclut pas un peu de gore. Dans ce film noir, les étrangers qui ne parlent pas français ne sont pas le problème, mais des âmes pures et innocentes, et ce sont nos chers compatriotes qui eux font preuve de tous les vices. On a même droit à quelques paroles de tolérance sur la sexualité, délivrées par l’incarnation même de la justice : notre bon gendarme de campagne. Franck Dubosc, acteur référence de ce genre cinématographique pas si vieillissant, est ici réalisateur de son troisième film. Il en signe aussi le scénario, et y incarne le rôle principal (faut pas déconner) : un bûcheron vendeur de sapins dans le Jura. A ses côtés, la dream team : Laure Calamy sa femme, Benoît Poelvoorde l’adjudant de la gendarmerie du pâtelin, Joséphine de Meaux sa subalterne, et puis en guest Catherine Devos la directrice du Donjon (oui, ce genre de Donjon1). Des petits nouveaux s’immiscent sous ce beau parapluie bien connu : Kim Higelin la fille rebelle, Mehdi Meskar le secrétaire des gendarmes, et Timéo Mahaut l’enfant “normal” de notre couple de protagonistes. Étonnant, le film ne l’est pas tant que ça ; mais étrange, oui, et analysable, toujours ; par votre serviteur.
Ma première pensée, poussée je l’admets par mes lectures récentes, et peut-être aussi par le milieu étudiant islamo-woko-gauchiste que je côtoie et auquel j’adhère, a été d’y voir une magnifique pièce d’artisanat de notre croulante bourgeoisie. Dont mes parents font partie ? Sans doute, c’est à garder à l’esprit. Toujours est-il que les faits sont là : dans ce récit plein d’autodérision et d’humour, ce qui est central, ça reste l’argent, le pez, la moulaga, le capital. Pas besoin d’avoir lu l’intégrale de Marx pour le voir : il guide littéralement chaque décision des personnages, et structure les enjeux de chaque péripétie. Si ces étrangers traversent la frontière par la forêt, ce n’est pas parce que ce sont des immigrés illégaux suivant leur passeur2, mais parce que ce sont des mules contenant de la cocaïne. D’ailleurs, si la BMW (appelée significativement par son joli nom) que bouscule Michel (Franck Dubosc) était garée dans ce recoin de la forêt, c’était pour leur donner les deux millions en petite coupure que valait ce “colis”. Si Michel n’appelle pas directement la police lorsqu’il remarque les corps sans vie de ses deux victimes, c’est parce qu’il n’a pas encore payé l’assurance de sa propre voiture, et qu’il risque donc de payer de sa poche pour cet accident. Je pourrais continuer comme ça jusqu’à la fin du film, mais je vous laisse vous adonner à ce petit jeu par vous même.
Non content d’être motivé de manière sous-jacente par ces considérations d’actualité (le pouvoir d’achat ! l’inflation ! ah !3), nos protagonistes sont accompagnés d’une véritable réflexion consciente et verbalisée sur la place de l’argent dans leur vie. “Qu’est-ce que tu ferais toi si tu trouvais deux millions d’euros en échange de quitter ton mari, ton bar, ta famille ?” Voici la question (reformulée par mes soins) que pose Roland (Poelvoorde) à cette barista qui n’apparaîtra d’ailleurs que durant cette unique scène. Bonne représentante du mystérieux “bon sens populaire”, elle est l’archétype de ces personnages plats dont la seule caractéristique est d’être “comme tout le monde”, “sans problème”, et de posséder un certain “franc parler”. Je mets des guillemets parce que je tiens mes sources d’un imaginaire que j’imagine être commun. “Sans hésitation”, répond-t-elle. Et tout le monde a l’air d’accord avec elle : ils vendent leur conscience pour une TV 4K. La résolution des problèmes se fait par l’argent, et un argent sale qui plus est, tombé du ciel apparemment, qui va pourtant jusqu’à résoudre la relation conflictuelle de Roland avec sa fille. Prenons l’exemple du mariage de Michel et Cathy (Alamy). Narrativement, ce couple a plusieurs problèmes qu’il va s’agir de résoudre lors du dénouement. On apprend tout d’abord que ces derniers ne couchent plus ensemble, et ensuite seulement qu’ils ne se parlent plus non plus, depuis qu’ils ont appris que leur enfant “n’était peut-être pas si normal que ça” (sorte de blague récurrente, portant sur le fait que l’enfant montre quelques comportements socialement inadaptés). On sait aussi qu’ils ont beaucoup de dettes et ne peuvent pas vraiment se permettre des folies comme un sac de bonne marque, ou une bonne voiture. A laquelle de ces problématiques auront-ils réussi à répondre à la fin de leur voyage ? Vous l’aurez deviné, l’argent. Ils n’arrivent toujours pas à admettre que leur enfant a besoin de leur attention particulière et le laissent seul à une soirée pour aller danser dans le Donjon précédemment évoqué. Donjon dans lequel ils semblent tout à fait hors de propos, déguisés en Fée Clochette et Lucky Luke, à danser un slow. Complètement happés par la fantasmagorie de cette expérience qu’ils ont les moyens de se permettre, ils ne se demandent même pas si elle est véritablement capable de leur apporter le bonheur et la tranquillité dont ils ont besoin.
J’ai écrit plus tôt que les comédies françaises étaient un genre “pas si vieillissant”, mais je me permets de revenir ici sur mon propos. Populaire sans être forcément du côté du peuple, actuel mais toujours un peu à côté de la plaque, a-t-il vraiment intérêt à se renouveler ? Il y a quelque chose d’un peu méta dans le déni des personnages, et la manière dont ils règlent leur problèmes avec des solutions aussi imperméables aux répercussions qu’une passoire. On veut sourire et croire que oui, “la petite fourmi peut parfois manger la baleine…” (les “…” sont issus du film) et qu’avec le pouvoir de la normalité et de l’anormalité sans nom, on peut trouver son compte dans ce système tout foireux. On a l’impression d’y voir filtrer les relents d’une croyance en un ailleurs, en la possibilité d’une incongruité dans la grisaille du quotidien, un bras tendu du libéralisme vers la main fatiguée des opportunistes. La magie de Noël (mais qui n’arrive pas à sortir en salle avant Janvier), c’est ça : un ours dans le Jura. Un genre peut-il vraiment faire passer le flambeau tout en baignant dans son huile ? En tout cas, il ne semble pas en avoir envie.
Petite sardine de bonne foi et de mauvais goût, petite peluche dont la bonne volonté sonne comme un câlin tout moux, ce film fut pour moi surtout une piqûre de rappel. Après tout, c’est aussi ça mon héritage : tiens voilà ta thune, amuses-toi et oublie le reste.
Geneviève Rivière
- Un Dоnjоn, réduction de Donjon BDSM, еst un lieu рrіvé оu рublіс dеstіné аuх rіtеs еt аuх сérémоnіеs BDSM (Bondage et Discipline, Domination et Soumission, Sadisme et Masochisme). ↩︎
- Cela ne serait pas trop étonnant : le Jura est d’ailleurs une région qui accueille de nombreux demandeurs d’Asile. Et la forêt est un lieu de passage classique dans l’imaginaire commun du trajet des migrants illégaux. Je vous conseille cet article intéressant sur la question, découvert après de courtes recherches de ma part. ↩︎
- Pour des informations plus constructives sur la question : statistiques Insee ↩︎







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