Alexis Hunot

Depuis la Rubrique :
16–25 minutes

Nous vous conseillons vivement d’avoir vu le(s) film(s) traité(s) par nos textes, afin de ne pas être spoilé·es et de mieux comprendre nos propos !

Le PIAFF, Paris International Animation Film Festival, est un festival qui s’est déroulé du 16 au 19 janvier 2025 et auquel nous vous invitons à participer l’année prochaine ! Il propose chaque année et pour des prix variant de 6,80 (étudiant) à 9 euros (plein tarif) une sélection de courts métrages d’animation, au Studio des Ursulines dans le 5e Arrondissement de Paris. Alexis Hunot, directeur artistique officiel du Festival, a accepté de répondre au cours de cet entretien à nos questions sur son métier, sur le festival, mais aussi sur le monde méconnu de l’animation.

Découvrez le site du PIAFF et son programme pour l’édition 2025

  1. Etre directeur artistique dans un Festival Indépendant 
  2. Organisation et Objectifs du PIAFF
  3. PIAFF et engagement politique
  4. Alexis Hunot et le cinéma d’animation 

Etre directeur artistique dans un Festival Indépendant 

Geneviève Rivière : Vous êtes le directeur artistique du PIAFF. Des directeurs artistiques, il y en a dans de nombreux secteurs, de l’art et de la communication. Est-ce que vous pouvez expliquer un peu plus aux lecteur·ices du journal à quelles activités cela correspond ? 

Alexis Hunot : Ce n’est déjà pas pareil d’être Directeur Artistique dans un petit festival que dans un festival comme Annecy. Dans ce genre de gros évènements, sa fonction est de s’occuper des invités principaux et de la programmation. Nous, on est une petite équipe de quatre membres, nos rôles fluctuent donc. Par exemple, je m’occupe des invités avec au moins deux de mes camarades. On a plusieurs sections de compétition, chacune gérée par un seul programmateur. J’anime aussi les rencontres et les séances qui ont lieu pendant le festival. C’est une fausse direction artistique, en fait ! De la même manière, notre présidente n’est pas seulement présidente : elle s’occupe aussi de la sélection et de l’animation des rencontres. Dans un festival avec plus de budget, le travail est plus cadré. 

G. R. : Quelles sont les personnes qui travaillent avec vous ?

A. H. : Marie-Pauline Mollaret, notre présidente, est journaliste. Elle a travaillé des années à la Semaine de la critique à Cannes et travaille encore aujourd’hui à la sélection des films d’études à Annecy. Elle est programmatrice, mais journaliste avant tout : elle travaille pour Ecran Noir, Bref, L’Avant-scène cinéma… C’est l’un des Chevaux de Troie de l’animation à l’intérieur du journalisme cinématographique. On a deux autres personnes dans l’équipe : notre directrice Anne Ory, qui s’occupe de tout l’aspect technique (obtention des DCP1, des sous-titres français et anglais, etc), et Antoine Bieber qui s’occupe de tout ce qui concerne le graphisme (affiches, site, etc). 

G. R. : Depuis combien de temps travaillez-vous pour le PIAFF ? 

A. H. : Je ne suis pas là depuis le début et je veux insister sur le travail formidable de Sylvie Dimet. C’est elle qui a créé le festival, qui s’appelait Croq’anime au début, en 2011. Dimet est une personne incroyable : elle projetait les films gratuitement et publiquement sur un simple drap blanc. J’étais professeur conférencier à l’époque et elle m’avait contacté : il lui manquait un directeur artistique. L’équipe était bénévole, donc ça a été difficile d’accepter d’abord, mais j’ai fini par le faire à condition d’avoir la mainmise sur la sélection, pour la cohérence. Elle avait contacté plusieurs personnes dont moi, parce que j’avais un site (Zewebanim), sur lequel j’ai accepté de promouvoir son festival. Elle voulait absolument que le festival reste gratuit, mais je pensais qu’il fallait des bonnes conditions de projection pour attirer les gens. Elle avait récupéré un super vidéoprojecteur de la marque Arco, mais il manquait tout de même selon moi une salle de cinéma. On a eu des projections dures, avec une coupure en plein milieu du film alors que le réalisateur, un canadien, était venu exprès ! On a donc fini par rendre le Festival payant, et elle a décidé que ça ne lui correspondait plus. J’ai repris le festival avec Anne Ory.  

G. R. : Y a-t-il un travail de dialogue entre les films projetés ? 

A. H. : En tant que programmateur, le plus important dans mon travail de sélection, c’est la cohérence. Chaque projection consiste en un visionnage de plusieurs courts-métrages qui sont réfléchis à l’avance. C’est pour ça que j’ai insisté pour que la sélection de chaque secteur soit remise à une seule personne. On reçoit 1500 courts-métrages, et j’en regarde aussi de mon côté, donc ça fait beaucoup ! La cohérence doit venir de la personne qui réalise la sélection. Quand je suis face au choix, je décide de ce qui me plait et m’intéresse et je me fais confiance, tout en pensant aux spectateur·ices et aux films qui me plaisent moins mais qui les attireraient. Un ami m’a dit que même quand il n’aimait pas un film, il comprenait pourquoi je l’avais sélectionné, et c’est le plus beau compliment qu’on puisse me faire. C’est pour ça qu’il est important de projeter des courts métrages : les longs, on a essayé, mais ce n’est pas ce qui fonctionne le plus. Les épisodes de série marchent mieux parfois, mais on diffuse surtout des courts. Avec l’ordinateur, on peut faire des films de plus en plus longs : on en a donc plus régulièrement d’une quinzaine de minutes, ce qui permet la projection d’une quinzaine de films professionnels par séances, et de plus d’une vingtaine pour des courts métrages étudiants qui sont souvent des clips de trois minutes. On a donc plus d’une centaine de films pour nos dix séances. La programmation permet de faire dialoguer les courts entre eux, de les faire résonner. Ce serait moins facile pour des longs-métrages.

Certains festivals de longs ont une direction assez précise, comme celui des 3 Continents à Nantes2, mais je pense aussi à certains festivals généralistes comme Cannes qui ont moins cette possibilité de mettre plusieurs films en relation. La programmation, c’est comme du montage : on se demande si une œuvre fonctionne avec la suivante de la même manière qu’on s’interroge pour savoir si une scène fonctionnerait mieux si on  la mettait avant ou après une certaine scène. Prenons un film comme Papillon de Florence Miailhe : c’est l’histoire d’un nageur juif allemand pendant la Seconde Guerre mondiale. Après ce genre de sujets forts, il est hors de question de mettre un film drôle. Le dialogue entre les œuvres a le pouvoir de tuer une programmation, ou au contraire de la faire vivre. 

Organisation et Objectifs du PIAFF

G.R. : Pourriez vous nous expliquer la signification des différentes sections que présentent votre festival : Courts-Métrages, Etude, Horizon, Jeunesse, Expérimental, et Musique ?

A.H. : Je m’occupe seulement des sélections Courts-Métrages, Études, Musique et Horizon ; c’est ma collègue Marie-Pauline Mollaret qui s’occupe des sections Expérimentation et Jeunesse. La section Courts-Métrages regroupe des films qui peuvent plaire au plus grand nombre : à la fois variés et qui rentrent dans les schémas narratifs classiques. L’important est de ne pas perdre le public. Dans la section Études, ce sont des films d’étudiants, parfois d’expérimentation, mais pas forcément des films de fin d’études. Horizon est une section qui nous permet de mettre en avant des cinéastes venus de pays inconnus pour l’animation, comme le Maroc et l’Ukraine cette année par exemple. Il est important de montrer ces films, même s’ils ne sont pas forcément à la hauteur technique des autres, parce que sinon ils ne sont jamais montrés. Annecy a une section similaire, qui a d’ailleurs été créée à peu près au même moment. En tant qu’anarchiste, j’aimerais ne pas indiquer les nationalités du tout, mais je reconnais que c’est important pour certaines régions ou pays de pouvoir être représentés et d’avoir un retour, des prix, et donc une visibilité concrète. La section Musique, c’est avant tout des clips. C’est rare de voir des clips sur grand écran, et c’est génial. Le titre des sections Jeunesse et Expérimentale sont assez explicites. Au final, ces sections sont assez perméables : je peux mettre des films qu’on pourrait qualifier d’expérimentaux dans la sélection Courts métrages par exemple. On échange beaucoup sur ce qu’est un film expérimental, sur ce que veut dire expérimenter aujourd’hui. La Jetée de Chris Marker, dont vous vous êtes inspiré pour le titre du journal, est un bon exemple : on y trouve de l’expérimental, mais pas que. On réfléchit beaucoup à ce qu’est une image, à l’utilisation de l’IA, de l’art contemporain… 

G.R. :  Depuis 2022, 14e Édition du PIAFF, le festival offre le prix Bendazzi à un acteur central du monde de l’animation, un « passeur ». Cette année, il s’agissait de Jean Baptiste Garnero. Sur votre site, vous le qualifiez d’archiviste, d’historien, mais aussi de “passeur” : qu’est-ce que cela signifie, et quelle importance a ce rôle dans votre vision du cinéma ? 

A.H. : Je vous remercie pour cette question car c’est un prix auquel je tiens beaucoup. Bendazzi est l’auteur d’un livre qui m’a beaucoup inspiré étant jeune : Animation, A world History. Le terme de passeur correspond à ces gens dont on parle peu, ceux qui vont faire le lien entre le public et les gens qui font le cinéma (journalistes, directeur·ices de salles, programmateur·ices, archivistes…). Deux émissions ont porté ce rôle pour moi : le Cinéma de Minuit (France 3) et le Ciné-club (France 2). Patrick Brion, qui était présentateur du Cinéma de Minuit jusqu’à l’année dernière, a dit dans une interview pour France 3 : “Je ne suis pas critique, je suis passeur”. Il s’agit de valoriser ces gens qui permettent de faire vivre, et surtout de créer le cinéma et la cinéphilie. Prenez le cas des directeur·ices de salles : ils décident de quel film ils veulent montrer, et ainsi de quel films vont demeurer. A une époque, pendant dix ans, on pouvait voir Mon voisin Totoro (1988, Hayao Miyazaki) tous les dimanche au Studio des Ursulines, qui est un cinéma spécialisé jeune public. Et encore aujourd’hui, chaque vendredi et samedi, le Studio Galande Béruchet projette le Rocky Horror Picture Show (1975, Adler & White). Le prix Bendazzi est le plus important pour moi : on y réfléchit en équipe à une personne, là où par exemple le Prix du jury est dépendant d’une sélection individuelle restreinte parmi des centaines de films. Les gens qui font des films c’est super, ceux qui les regardent aussi, mais s’il n’y avait pas des gens comme vous et nous, ça ne marcherait pas pareil. On donne envie aux gens de découvrir.

G.R. : De quel film d’animation aimeriez vous parler parmi ceux que vous avez choisi de programmer cette année ?

A.H. : C’est très arbitraire bien sûr, mais j’aimerais parler de ce film que j’aime beaucoup, parce que je suis allé le chercher : We will definitely talk about this after the last air raid (Yuri Yefanov, 2024), un film ukrainien. C’est une utopie qui explore la possibilité de réinventer la ville en accord avec la nature, dans une esthétique qui fait très jeu vidéo.

Mais ce qui frappe, c’est la phrase qui clôture le film : “On en parlera après le dernier raid aérien”. Evidemment, venant de l’Ukraine en ce moment, c’est troublant. Est-ce qu’un jour les guerres vont s’arrêter, pour qu’on puisse enfin parler de ce havre de paix à construire ensemble ? J’ai tendance à ne pas y croire, mais j’ai quand même décidé de clore la section avec ce film-là, pour que les gens se questionnent. Notre Jury étudiant lui a décerné un prix. On a des gens qui viennent de tous les milieux : écoles de cinéma, d’animation, des beaux-arts… C’est arrache-cœur cette questions, parce que j’aurais envie de parler de tous les films que j’ai sélectionné !

G.R. : Est-ce que vous pourriez donner à notre lectorat une bonne raison de participer à l’édition 2026 du PIAFF ? 

A.H. : Déjà, c’est un festival indépendant. C’est super, et c’est normal d’aller à Cannes, mais c’est bien aussi de défendre des entreprises à petit budget et surtout bénévoles comme nous. On accueille chaque année un·e invité·e passionnant·e. Cette année nous avons reçu Boris Labbé avec son compositeur Lucas Fagin ; l’an dernier c’étaient Vergine Keaton et Vale Poher. Notre sélection est très diversifiée. Quand on apprécie l’animation, c’est l’occasion de voir des films qui ne sont pas projetés ailleurs, pas même à Annecy. Si c’est au contraire un genre qu’on ne connaît pas, notre programmation est suffisamment diverse pour le découvrir. La séance d’ouverture projette par exemple aussi bien des œuvres sur les problématiques rencontrées par la communauté queer que traitant de la maladie d’Alzheimer ou de l’avortement. Cette année le festival s’ouvrait avec I had nothing d’Elise Kelly, qui raconte l’histoire d’une femme lesbienne congolaise décidant de partir aux Etats Unis pour vivre pleinement son identité. C’était suivi par Les pieds dans l’eau d’Eloïc Gimenez Yoon, un film qui parle d’Alzheimer, et ce dans un style tout à fait différent. Dans la séance d’ouverture, qui cumule huit films, on voit ainsi s’alterner des thèmes et des techniques très différentes – 3D, crayon, surréaliste, documentaire, etc. On ne s’en rend pas compte mais le court métrage, c’est vraiment la partie cachée de l’iceberg en cinéma. Donnez-moi n’importe quel thème, et je suis sûr qu’avec mes camarades programmateur·ices on peut vous trouver au moins dix courts qui en parlent ! Même sur les sujets les plus durs, les plus complexes voire traumatisants. On ne fait pas de trigger warning : on considère que c’est au cinéaste de le faire. Quand on rentre dans la salle, il faut être prêt à voir n’importe quoi. Moi je viens d’une génération où on se prenait tout sans crier gare ! Et je ne sais pas si c’est bien, mais on a décidé de garder cette impression de “se prendre les films en pleine gueule” pour nos projections. Indépendance et diversité, ce sont donc les deux mots que je choisirais pour décrire le festival.

PIAFF et engagement politique

G. R. : Vous avez choisi de diffuser le débat critique qui a mené à votre choix des « vainqueurs », sur Radio Libertaire3. Pourriez vous expliciter les raisons de ce choix ? 

A. H. : Sur ma première carte de visite, j’avais écrit “activiste de l’animation”. Je considère le fait même de transmettre un savoir sur l’animation comme de l’activisme. Par exemple, si je vous demande, vous me daterez la première projection de cinéma à 1895, avec celle des Frères Lumières ; alors qu’en 1892, Emile Reynaud organise au musée Grévin à Paris une séance du premier film d’animation ! Si on considère le cinéma comme la projection d’un film dans une salle, alors c’est ici que se trouve sa véritable genèse. Lorsqu’on parle de cinéma d’animation, les gens ont beaucoup moins de culture que pour le cinéma filmé. A peu près tout le monde connaît, de nom, Orson Welles, Martin Scorsese, Charlie Chaplin, éventuellement Mizoguchi, mais personne ne connaît leurs équivalents dans l’animation. Dans les festivals grand public comme Cannes ou le Festival Lumière (Lyon), on ne trouve que très peu de films d’animation, et l’animation expérimentale est encore moins représentée. Organiser un festival d’animation, c’est donc déjà en soi se mettre à part du reste de la production : c’est pour ça que je me considère comme un activiste. Pour ce qui est de Radio Libertaire, c’est la Radio anarchiste française créée en 1981 et que l’on peut maintenant écouter sur Internet. J’y tiens depuis quinze ou vingt ans une émission mensuelle de 2h en continue sur l’animation : Bulles de rêves. Des émissions de 2h comme ça, je ne pense pas qu’il y en ait beaucoup dans le monde ! 

Diffuser la réflexion critique qui mène un jury à sa décision finale permet de montrer comment sont faits les choix, donc de rendre la chose plus concrète, moins arbitraire. On voit là où il y a des grosses divergences, ou au contraire des convergences. Donc on loue une salle et on fait la délibération en direct. Si les lecteur·ices de La Jetée veulent l’écouter, ils le peuvent. 

G. R. : Considérez vous que le PIAFF est un festival « engagé » ? Et si oui, depuis quel bord politique ou activiste ? 

A. H. : Le terme “engagé” est toujours compliqué. J’espère qu’on l’est, mais c’est aux spectateur·ices d’en décider. Je ne pense pas qu’on puisse faire quoique ce soit dans nos vies qui ne soit pas engagé. Ce sont dans les films qu’on montre que l’engagement naît. Par exemple, dans un de nos films, une femme raconte qu’elle a eu un rapport sexuel avec un homme et qu’il a retiré le préservatif pendant l’acte. Elle tombe enceinte et va en clinique pour avorter : la scène est contenue dans une seule image. Il faut qu’elle soit accompagnée pour l’anesthésie générale et, comme elle est venue seule, elle demande à la salle de cinéma si quelqu’un·e veut venir avec elle. J’ai trouvé le passage marquant, et le sujet d’autant plus important aujourd’hui avec l’investiture de Trump. Mais le fond doit aller avec la forme. Je ne choisis pas un film engagé uniquement parce qu’il est engagé. Il en existe plein, déjà, dans le cinéma d’animation, trop même pour tous les sélectionner. Pour le festival on ne cherche jamais à proprement parler de films écologistes ou féministes : ça vient si je trouve le film suffisamment bon pour être montré. Après, il y a trois ans, on a fait un focus sur les femmes iraniennes. On a notamment accueilli Sepideh Farsi, réalisatrice de La Sirène, et on a animé plusieurs échanges. 

Ma cinéphilie a grandi avec David Lynch, et je considère que montrer des films comme les siens, étranges ou sans narration, est engagé. J’ai aussi conscience qu’il y a des sujets intrinsèquement politiques. Je suis un homme et j’en ai conscience : j’y pense aussi quand je choisis un film car je veux être sûr de ne pas faire d’erreur. Pour autant je me considère légitime à projeter des films, car je pense que tout le monde l’est. Les fois où un film me semble limite, j’en discute avec quelqu’un·e de plus aux faits des enjeux qu’il explore. 

G. R. : Les films que vous projetez ont-ils l’occasion d’être diffusés dans un autre cadre que votre festival ? Quel est leur avenir après le PIAFF ? 

A. H. : Nous avons la chance, en France, d’avoir Arte et France TV qui permettent de voir gratuitement des courts-métrages. Jusqu’à il y a peu, Viméo était aussi un espace pratique pour diffuser ces films, mais ils ont changé leurs règles récemment. La France offre des aides géniales, ce qui la rend très attractive et explique la venue de cinéastes étrangers. Certains films passent à Cannes, aux César ou aux Oscar, et offrent ainsi la possibilité à leur boîte de production d’obtenir plus aisément des aides de régions ou du CNC. Parfois les films sont aussi achetés par des télévisions étrangères. Mais le plus souvent, le·a réalisateur·ice met son film sur Internet deux ou trois ans après sa diffusion en festivals. C’est ce qu’il y a d’étonnant avec le court-métrage, mais c’est aussi ce que j’aime dedans. C’est un format génial. 

G. R. : Est-ce que vous rémunérez les réalisateur·ices qui passent dans votre festival ? 

A. H. : Non, et c’est la raison pour laquelle nous avons autant de compétitions au sein de nos sections. Nous n’attribuons pas de Grand Prix, car nous considérons qu’un film n’est pas meilleur qu’un autre. Mais quand un film est sélectionné à une compétition et gagne un prix, les productions gagnent des points pour le CNC et peuvent continuer à financer des films. Sans compétition, on devrait payer la sélection d’un film, en moyenne entre trente et cent euros chacun, pour payer les producteur.ices et les réalisateur.ices.

Alexis Hunot et le cinéma d’animation 

G. R. : Qu’est-ce que l’animation pour vous ?

A. H. : Traditionnellement, on dit que l’animation c’est de l’image par image, en opposition avec la prise de vue continue. Les marionnettes à fil ne sont donc pas considérées comme de l’animation par les écoles où j’ai pu enseigner, car ce n’est pas de l’image par image. Mais pour moi, et c’est une définition personnelle, l’animation est devenue un genre. Si on considère l’animation comme le fait d’animer ce qui n’a pas de vie, alors les marionnettes rentrent en sont. C’est très important cette idée d’un genre à part entière, car il y a finalement peu de genres en animation. 

G. R. : Quelle a été votre porte d’entrée dans le cinéma d’animation ? 

A. H. : Je suis un faux pistonné ! J’ai étudié à l’Université Paris 8 Vincennes – Saint-Denis. Quand j’y suis entré je ne connaissais qu’Andreï Tarkovski, Ingmar Bergman, puis je me suis intéressé à John Carpenter, à George A. Romero… Mon oncle a été directeur du festival d’Annecy, ç’a été un coup de chance. J’y suis allé assez jeune, purement par curiosité. Ç’a été ma porte d’entrée, je me suis rendu compte d’à quel point on en parlait peu, y compris en fac de cinéma. J’ai donc voulu m’y intéresser et partager cet attrait. 

G. R. : Quels films recommanderiez-vous à nos lecteur·ices pour s’initier au cinéma d’animation ? 

A. H. : En choisir un est compliqué : Pour des films en prises de vue, trouveriez-vous une seule œuvre à recommander ? 

G. R. : Honnêtement oui, je dirais Titanic. Je trouve le film incroyable, et il peut toucher beaucoup de spectateur·ices. On y voit ce que peuvent faire la caméra et les effets spéciaux, et il est très beau tout en proposant des scènes d’actions assez prenante. Les personnages sont simples mais attachants. C’est moins un film pour résumer le cinéma qu’un film pour s’y intéresser. 

A. H. : C’est vrai, mais choisir un seul film en enlève tellement ! Comme porte d’entrée à l’animation je peux en conseiller quatre, mais je peinerais à n’en choisir qu’un. Je commencerai par deux longs-métrages, car le public en regarde plus aisément que des courts. Il y a d’abord Alice de Jan Švankmajer (1988). Ce réalisateur tchèque adapte Alice aux pays des merveilles et en garde la problématique, l’identité et le ton assez fort et délirant. Ensuite je dirais Paprika de Satoshi Kon (2006). C’est la version intelligente d’Inception de Christopher Nolan (2010), dont je ne suis pas fan. Satoshi Kon est un des plus grands réalisateurs qu’on ait eu au monde, tous genres confondus, et il faut absolument voir sa filmographie. Perfect Blue (1997) est un autre de ses grands films, mais il est plus compliqué.

Il y a aussi deux excellents courts-métrages d’animation que je conseillerais, parmi lesquels L’Homme qui plantait des arbres de Frédéric Back (1987). Le film adapte une nouvelle de Giono, que l’écrivain a faite après que le New York Times lui ait demandé d’écrire sur l’homme le plus incroyable qu’il ait rencontré. L’histoire a pour sujet un homme qui a replanté une forêt complète dans les montagnes françaises pendant la guerre. Giono a par la suite révélé avoir inventé l’homme, mais Back, qui a reçu l’Oscar du meilleur court-métrage d’animation et le Cristal d’or à Annecy pour son film en peinture animée, a vraiment replanté une forêt à côté de chez lui, au Québec. Un personnage de fiction est donc devenu un personnage réel grâce à un réalisateur. Le deuxième court-métrage que je recommanderais serait Le petit hérisson dans la brume (1975), issu du Conte des Contes de Youri Norstein (Le Conte des contes : le chef d’oeuvre de Youri Norstein de retour au cinéma – Ecrannoir.fr).La designer d’animation de ce cinéaste russe est Francesca Yarbusova, sa compagne. Le film ressort bientôt en salles, distribué par MalaVida. Il y a du Tarkovski dans le film, qui puise dans la spiritualité au sens large du terme. Voilà, ça fait quatre portes d’entrée, deux grandes et deux petites. 

Interview réalisée le 30 janvier 2025 par Geneviève Rivière

  1. Le Digital Cinema Package (DCP) est le format filmique spécifique à la projection en salles de cinéma, et remplaçant les projections des copies film 35mm. ↩︎
  2. Le festival des 3 Continents à Nantes (Festival des 3 Continents) propose, depuis 1979, “d’autres regards sur le cinéma et notre monde à travers une sélection unique de films de fiction et de documentaire d’Afrique, d’Amérique latine et d’Asie.” ↩︎
  3. Radio Libertaire est une radio anarchiste, qui se revendique “sans Dieu, sans maître, et sans publicité”. ↩︎

POUR ALLER PLUS LOIN

Découvrez nos articles et dossiers sur le cinéma d’animation : Animation

Réponds et partage anonymement ton point de vue sur la question ! Peut-être que l’auteurice te répondra…

Intéressé·e ? N’hésite pas à découvrir nos publications récentes !