FICHE TECHNIQUE
Réalisation : Pablo Larrain / Scénario : Steven Knight / Composition musicale : John Wahrurst / Production : Juan de Dios Larrain, Lorenzo Mieli, Jonas Dornbach / Direction de la photographie : Edward Lachman / Direction artistique : Bence Erdelyi / Ingénieur du son : Marc Ruth / Production : Fabula Productions, Komplizen Films, The Apartment / Distribution : ARP Sélection, FilmNation Entertainment
Interprétation : Angelina Jolie, Pierfrancesco Favino
Il y a quelque chose de fascinant dans la popularité des biopics, un attrait d’une ampleur et d’une récurrence inexplicables. Maria, comme son titre le laisse imaginer, prend pour sujet Maria Callas, grande chanteuse lyrique du XXe siècle, et s’emploie à en capturer la personne au-delà du personnage. C’est peut-être cette approche intimiste qui attire le public, une approche nourrissant l’illusion qu’un film permettrait de mieux cerner une personnalité qu’on ne connaîtra pourtant jamais, et dont il ne nous reste plus que l’aura et le traitement médiatique. Le long-métrage de Pablo Larrain s’emploie il est vrai à nous présenter Maria Callas à la fois dans son profil de star – voix magnifique et envoutante, célébrité internationale, renommée critique – et dans son caractère au quotidien – problèmes de santé et d’addiction, caprices, hallucinations. Le personnage et la personne, Callas et Maria ; un deux-en-un dont l’ensemble forme le tout que veut saisir le scénario.
C’est pourtant un portrait de star qui nous est donné à voir avant tout. Bien sûr les chants de Callas sont omniprésents, et l’opéra comme bâtiment fait des apparitions régulières. Callas est présentée comme on l’attendait : en diva d’opéra, bornée et fragile, résistante et malade, exigeante et empathique, géniale mais constamment sur le point de tout perdre. Elle-même se présente « in the mood for adulation »1, évoluant dans un Paris fantasmé avec les lunettes de soleil et le foulard aux cheveux à la Audrey Hepburn ou Brigitte Bardot. Riche, mince, aimée et adulée : difficile de percevoir la désacralisation tant le topos de la diva est reconduit sans nuances. Maria souffre sans surprise des torts de la plupart des biopics : aucune originalité dans la narration, musique extradiégétique omniprésente, absence de recul à la fois sur le personnage traité et sur l’époque donnée à voir. La mise en scène est aussi pauvre que le reste. L’éclatement chronologique de la vie de Maria Callas et ses hallucinations auraient pourtant pu créer un étourdissement plaisant s’ils n’avaient pas été écrasés par le montage. Les journalistes que Maria s’invente disparaissent ainsi subitement, ce qui rend évidente leur absence ; les filtres sépia pour le présent et noir et blanc pour le passé situent dans le temps les images, à la composition par ailleurs on ne peut plus classique. A cela il faut ajouter des phrases pseudo-marquantes qui empêchent tout naturel dans les dialogues, et une division du récit en Actes, achevant de donner l’impression d’une illustration biographique formelle, dont la convention empêche les écarts un tant soit peu originaux ou novateurs.
Les biopics qui prennent pour sujet une femme ont cependant une portée sociologique dont l’importance dépasse les simples considérations cinématographiques. Dans la société patriarcale qu’est la nôtre, les femmes sont plus vite oubliées et plus facilement dépréciées. Consacrer un film à l’une femme qui a marqué l’histoire n’est pas anodin, car cela donne de la visibilité et de la légitimité à celles auxquelles on la refuse. Il n’est pas anodin non plus, dans ce cadre, qu’on s’emploie ici à la démystifier, en dépeignant la fin de sa vie. Maria s’ouvre sur une mort physique, celle de la chanteuse, et montre ensuite deux heures durant une mort symbolique : la fin de Callas, la mort de son chant. Diverses scènes poursuivent cette destruction du mythe, amplifiant par exemple la puissance vocale de Callas dans ses enregistrements et représentations, et diminuant donc sa portée quand elle chante chez elle. Le chant est présenté comme une performance, ne se suffisant pas mais dépendant d’instruments divers, depuis la présence d’un orchestre à la nécessité d’un projecteur. On se trouve donc face à une entreprise double : la sacralisation de Callas en diva, évoquée plus tôt, et la démystification de Maria, non en niant sa puissance de chanteuse mais en la restreignant à une période courte et révolue de sa vie. Toute la qualité théâtrale de Callas, pourtant réputée comme interprète, disparaît donc. À la place l’importance de son amant est cruciale, elle guide le premier dialogue ainsi que la majorité des flashbacks. Ce ne serait sans doute pas si questionnable si Maria n’était pas à replacer dans un contexte plus large de floraisons de biopics. Le genre redore l’image des personnalités masculines, leur toxicité devenant arme de séduction (Un parfait inconnu, Monsieur Aznavour, Limonov…), mais montre des femmes capricieuses ou fragiles, et déconstruit leur aura (Niki, Blonde…). Entre approche intime et biais de genre, la ligne est fine.
Alex Dechaune
Pour aller plus loin, consultez le dossier de Lilia Penot sur le Biopic
- « D’humeur à l’adulation » ↩︎







Réponds et partage anonymement ton point de vue sur la question ! Peut-être que l’auteurice te répondra…