Nosferatu

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4–6 minutes

Nous vous conseillons vivement d’avoir vu le(s) film(s) traité(s) par nos textes, afin de ne pas être spoilé·es et de mieux comprendre nos propos !

FICHE TECHNIQUE

Réalisation : Robert Eggers / Composition Musicale : Robin Carlan / Production : Jay Van Hoy, Lars Knudsen, Chris Columbus, Eleanor Columbus, Jeffrey Robinov, John Graham, Robert Eggers / Direction Artistique : Robert Cowper / Direction de la Photographie : Jarin Blaschke / Distribution : Universal Pictures International France, Studio 8, Maiden Voyage Pictures, Birch Hill Road Entertainment

Interprétation : Lily Rose Depp, Nicholas Hoult, Bill Skarsgard, William Dafoe

Année de Sortie : 2024

C’est très rare que je m’ennuie au cinéma. On a rarement fait plus bon public : même quand je ne suis pas convaincue, je reste pour donner toutes ses chances au film. Et pourtant, mon taux de bâillement à la minute a frôlé celui du Guinness Record. Par ailleurs, il faut savoir que je suis une grosse flipette. C’est moi que vous voyez sursauter au premier rang, au moindre screamer des plus attendus. Et pourtant, s’il m’a fallu m’empêcher de hurler, ce ne fut que de rire. Vous l’aurez compris, vous n’êtes pas face à une grande convaincue. Deux heures dans une vie, on aimerait bien les perdre dans les mains de bandits plus malins, qui vous donnent au moins l’illusion de les avoir consommées. D’autant plus qu’il y a eu dans cette séance des délits plus pervers encore que le vol. Délit de fan service, délit d’onanisme1, délit de surjeu, mais plus grave encore, délit de violence sexuelle.

 Commençons par le gros mot, je n’ai jamais aimé les introductions putes-à-clic : je trouve que le sexe a une place bien trop étrange et centrale pour ne pas être commenté. C’est drôle, le parallèle se fait tout naturellement dans ma tête entre Nosferatu et Babygirl, que j’ai vu et critiqué la semaine dernière. On parle dans les deux cas de sado-masochisme, sauf qu’ici, c’est un peu moins (ou plus, selon le point de vue) littéral. C’est exacerbé en tout cas. Lily Rose Depp (Ellen), douce et sombre poupée de cire à la Tim Burton, aime qu’on lui fasse l’amour violemment. Seul Dracula, vampire abject et dégoulinant, arrive à satisfaire son désir. Ce désir se révèle progressivement être un symptôme de sa nature de sorcière-druidesse (comme vous voudrez, ce n’est pas important), qui lui permet de communiquer avec le monde des esprits (ou un truc du genre). Un homme, un scientifique, mais radié car trop mystique (Dr Raoult ?) pour l’austère médecine traditionnelle, lui apprend son rôle dans l’histoire. Pour sauver la ville du danger, elle doit se sacrifier en se donnant au monstre, en écoutant son démon intérieur. Elle meurt sur le lit, écrasée par le frêle corps de ce cadavre un instant plus tôt si vigoureux. Voilà notre monstre comme magnifié, humanisé, masculinisé dans sa mort, dans son hétérosexualité consommée.

Certes, les vampires ont toujours eu une connotation  très sexuelle : ils sucent le sang, ça en dit long. De manière plus pertinente, une amie m’a fait part de sa théorie comme quoi le film tentait un commentaire sur la sexualisation de la figure du vampire, au travers de la série des Twilight surtout. En rendant à Dracula le côté glauque que lui avait donné Bram Stoker, tout en jouant avec la sensualité explicite de ses descendants à l’écran, on joue effectivement avec les représentations usuelles. Mais quitte à jouer, autant miser quelque chose. Ici, au contraire, aucun risque : c’est le monstre qui est hideux, pas sa magnifique bien-aimée. Et donc, puisqu’on la joue safe, on la joue viol, on la joue concours de phallus (littéralement). Les attaques épileptiques d’Ellen ne sont qu’une excuse pour contourner la question de son consentement. Elle fait remarquer à son mari lors de l’une de ces crises qu’elle n’a jamais été satisfaite dans son lit, ce après quoi il lui fait l’amour sauvagement (et par sauvagement j’entends violemment). Métaphore du manque d’intérêt de l’homme au plaisir féminin dans le couple hétérosexuel ? Que nenni : simple boutade qui ne mène à rien d’autre qu’à cet acte désespéré et désespérant d’un Thomas décidément très médiocre. Je me permettrai d’ajouter qu’il est bien beau de faire de la femme de l’écrivain l’héroïne, mais tant qu’on y est autant la rendre plus intéressante que ce compagnon insipide. On passe tellement de temps à suivre une enquête dont la conclusion ne nous intéresse que trop peu, alors qu’on aimerait savoir ce que cette jeune femme pense d’autre que : “je veux que mon mari revienne”.

Pour ce qui est des fioritures enjolivant ce tableau sans couleurs, elles n’ont rien de bien excitant. La première partie, qui suit le départ de Thomas jusqu’au château du comte Orlok, a des charmes qui font écho à ceux du film de Murnau dont Robert Egger tente de s’inspirer. Quelques plans en clair-obscur chatouillent les sens dans une sorte d’impressionnisme2 renouvelé. Mais la direction artistique s’affadit dès la découverte du Manoir du conte. Du clair-obscur, on passe bien vite au trop obscur : plisser des yeux ne sert à rien, et on se surprend à chercher la touche “augmenter la luminosité” sur son fauteuil ! Les pièces de ce château de pierre sont décidément aussi vides d’énergie vitale que les victimes de son propriétaire. Vieux rêve de cinéphile : refaire le chef d’œuvre qui nous a marqué, mais pour un public nouveau ! Ce n’est pas une vaine entreprise, mais c’est un geste vaniteux. Pour cacher sa vanité, ou au moins l’excuser, il faut au moins une pâte, un truc, une idée originale ou même agréable. On travaille avec le matériel mélancolique du plaisir au passé, situé dans un imaginaire de jeunesse et de crédulité perdue. Sans le plaisir de découvrir, comment alors se satisfaire du miroir a-nostalgique de notre contemporanéité sans saveur ? Aujourd’hui, les vampires meurent, et les enfants aussi. On aimerait que les femmes survivent, pour bien faire.

Geneviève Rivière

  1. Autre mot (un peu marrant) pour dire masturbation ↩︎
  2. Mouvement des années 1920’s, attribué au cinéma allemand, qui cherche à jouer de certains effets visuels pour reproduire à l’écran un point de vue émotionnel sur le monde. Il n’est pas clairement daté, mais on en trouve des aspects dans les films de Murnau, dont Nosferatu, qui joue sur le clair obscur, la colorisation par type d’émotions, les accélérations, les distorsions de l’image… ↩︎

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