FICHE TECHNIQUE
Réalisation : David Lynch / Scénario : David Lynch et Barry Gifford / Production : Deepak Nayar, Tom Sternberg, Mary Sweeney, Jean-François Fonlupt / Direction de la photographie : Peter Deming / Montage : Mary Sweeney / Musique : Angelo Badalamenti / Direction artistique : Russell J. Smith / Décors : Leslie Morales / Costumes : Patricia Norris
Interprétation : Lucy Butler, Richard Pryor, Bill Pullman
Année de sortie : 1997
Aucun cinéphile n’est parfait, et il me faut confesser qu’à la mort de David Lynch, le 15 janvier 2025, je n’avais vu aucun film de ce cinéaste si reconnu. Plus ou moins longs (Elephant Man fait 125 minutes, Mulholland Drive 142), réputés incompréhensibles, je les ai même longtemps évités. Les rétrospectives suivant son décès m’ont incitée à découvrir la filmographie de ce cinéaste états-unien. Retour donc sur Lost Highway, disponible sur France TV jusqu’au 15 avril 2025 (ici : Lost Highway en streaming – France TV).
Comment résumer ce qu’on ne comprend pas, et ce qui n’est pas fait pour former un tout sensé et signifiant ? Lost Highway a une intrigue décousue, certes pas incohérente mais pour le moins inqualifiable. Il y a des personnages principaux : Fred, saxophoniste, vite inculpé pour le meurtre de Renée, sa femme; Pete, garagiste, entamant une liaison avec Alice ; M. Eddy, gangster ; et un anonyme mystérieux reliant tout ce beau monde. Les frontières sont floues et floutées. Pete et Fred semblent être des alter egos, moins par leur caractère et leur histoire que par la femme qu’ils aiment, Renée (version brune) ou Alice (version blonde) 1. Si la diffraction narrative crée curiosité et fascination, au lieu de l’agacement et de l’abandon, c’est qu’elle est portée et compensée par une indéniable maîtrise audiovisuelle. Les images sont autotéliques 2 ; leur lumière, leur composition, leurs couleurs, sont extraordinairement soignées mais ne figent jamais l’image. A des plans fixes se succèdent des déconstruits, que capture une caméra excessivement mobile, faisant perdre les repères. Mais tout comme la mort de Dick Laurent est, dès l’incipit 3, annoncée par une voix et non montrée à l’écran, c’est le son qui, avant l’image, domine. La première scène de sexe ne montre ainsi pas grand-chose, insiste sur les respirations, qu’elle allie à une musique irrégulière et des bruits indéfinis. Ce rapport diffère dans son appréhension de la pornographie, présente plus tard par le biais d’Alice, actrice X. Là où ce genre capte des corps parfaits et en fait des marchandises excitantes, le cinéma s’affirme comme art en insistant non sur l’acte sexuel mais sur l’extraordinaire travail sonore qu’on peut en faire.
Dans une intrigue réduite à l’épure, faite d’ellipses et exempte d’explications, ne reste que le ressenti spectatoriel. Le film se fait lieu d’émotions partagées, suscitées moins par l’histoire que par les moyens qui la captent. La matière lourde des décorations – les draps en soie noir, les rideaux en velours rouge – rencontre tantôt une musique stridente tantôt un rock virulent, et leur mariage crée une impression étrange mais captivante. Il y a beaucoup de vide, soit dans les pièces de la première maison soit entre chaque réplique de dialogue. Il y en reste pourtant l’impression d’un plein, sûrement due à la bande originale très présente (et de qualité), et à l’effort (agréable) que demande le film pour le suivre et s’y perdre à la fois.
Chaque élément se répond, créant un sens nouveau mais jamais ni complètement intelligible ni complètement univoque. L’incompréhension qui en ressort n’est pas frustrante, mais elle réduit le cinéma à sa matière première : le ressenti d’un public soumis à une image et une bande sonore qui le travaillent sans qu’il comprenne vraiment pourquoi – ni ne le veuille d’ailleurs.
Alex Dechaune
- Cette formulation n’a pas de visée dénigrante ou objectifiante : Renée et Alice sont jouées par la même actrice et sont distinguées principalement par la couleur de leurs cheveux. ↩︎
- Autotélique : qui est sa propre fin, ne dépendant de rien d’autre que de lui-même. ↩︎
- Incipit : en littérature, premiers mots d’un texte. A comprendre ici comme l’ouverture de la diégèse du film (exclue donc son générique). ↩︎







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