FICHE TECHNIQUE
Réalisation : Francesca Comencini / Scénario : Francesca Comencini / Production : Simone Gattoni, Marco Bellochio, Sylvie Pialat, Beppe Caschetto, Bruno Benetti / Photographie : Luca Bigazzi / Montage : Francesca Calvelli, Stefano Mariotti / Chef·fe montage : Francesca Calvelli, Stefano Mariotti / Costumes : Daria Calvelli / Décors : Paola Comencini, Paola Comencini / Ingénierie du son : Lavinia Burcheri / Sociétés de distribution : Pyramide Distribution, Charades / Sociétés de production : Arte France Cinéma, Kavac Film, Les Films du Worso
Interprétation : Romana Maggiora Vergano, Fabrizio Gifuni, Anna Mangiocavallo
Année de sortie : 2025
Ne rien dire et pourtant bavarder, déclamer avec prétention ce qu’est le cinéma et ne pas parvenir à en être : voilà ce que fait Prima la Vita. Il y en a eu d’autres, récemment, qui essayaient de capturer l’essence du septième art, soit en prenant pour sujet ses acteur·ices au sens large (Babylon, Empire of light 1), soit en suivant ses passioné·es, les cinéphiles qui deviendront réalisateur·ices (The Fabelmans, Spectateurs 2). Prima la vita se situe entre les deux, puisque si passion du cinéma il y a, elle naît tout de même d’un père déjà cinéaste : Luigi Comencini 3. C’est sa fille, Francesca, qui transforme en film sa relation avec son père et son entrée dans le cinéma. A l’époque de Comencini père, l’autobiographie est dépréciée au cinéma ; on lui préfère le divertissement, l’imagination, l’ailleurs. Comencini fille, au contraire, s’est fait connaître dès son premier long par la mise en scène d’une période de sa vie, soumise à la drogue et l’addiction. Prima la vita, au lieu de légitimer sa volonté de réaliser à partir de son vécu, illustre sa contingence.
Le problème des films autobiographiques est qu’ils sont tous faits par des cinéastes déjà assis dans leur profession. Ils ne racontent donc pas le parcours d’intégration dans l’industrie du cinéma mais reproduisent une vision bourgeoise et sans recul de la cinéphilie et de la création filmique. Quel écho, alors, chez le public de cinéma ? Francesca Comencini essaye de dévier le sujet du film vers sa relation avec son père. Elle prend tant de place que le reste disparait : ni la mère, ni les sœurs, ni le mari de Francesca n’existent à l’écran ou dans les dialogues. Il n’existe presque aucun autre personnage que Francesca et Luigi, et l’intrusion d’un rare tiers provoque la destruction de leur complicité et de la stabilité de la caméra. Ce plan, comme d’autres et particulièrement comme celui final, est d’une littéralité étouffante. Sa laideur plastique gêne et son symbolisme criard illustre une tendance générale à rendre visuelles des métaphores qui n’en sont donc plus.
Par ailleurs, la relation père-fille est empreinte d’un manque de recul général sans doute dû au fait que la personne qui retranscrit l’histoire est celle qui l’a vécue en premier lieu. La culpabilité semble habiter Francesca, qui érige son père en une figure sévère mais juste et aimante, tandis qu’elle se réduit à l’état d’un enfant ingrat et incompréhensible. Il ressort de l’intrigue un manichéisme certain, qui dessert les deux personnages et refuse de les nuancer. Certains moments sont touchants, mais ils restent exceptionnels. Lorsque Francesca reproche à Luigi de l’avoir aimée quand elle était une fille parfaite mais de la mépriser maintenant que la voilà femme, et ce à cause d’une misogynie intériorisée, aurait pu constituer le début d’un arc intéressant, s’il n’avait pas été abandonné sitôt entamé. Si la réalité est représentée avec trop de plat et de fadeur, une tendresse se dessine dans les instants où Luigi est seul. Francesca, absente, les a nécessairement imaginés, et elle le fait avec douceur. Lorsque le père, assis sur son canapé, dit à sa fille de sourire pour sa cérémonie de remise des prix, il s’adresse à la télévision. Francesca, semblant le connaître assez pour savoir ce qu’il dit sans être capable de l’entendre, obéit, offrant un émouvant dialogue ineffectif.
Les rares belles intentions – les scènes touchantes, l’ancrage dans une actualité politique plus vaste, la possibilité de s’adresser à un autre cercle qu’à celui, restreint, des cinéastes et de leur famille – sont noyées dans une absence de subtilité et dans un égocentrisme usants et récurrents dans un certain cinéma actuel.
Alex Dechaune
- Babylon (Damien Chazelle, 2022) suit les aventures d’un cinéaste, d’une actrice et d’un acteur dans le Hollywood des années 1920. Empire of light (Sam Mendes, 2022) prend pour sujet deux employé·es d’une salle de cinéma dans le Sud de l’Angleterre des années 1980. ↩︎
- The Fabelmans (Spielberg, 2022) s’inspire de la jeunesse du réalisateur des Dents de la Mer, E.T., Indiana Jones et tant d’autres, pour suivre sa découverte et sa pratique amatrice du cinéma avant qu’il ne rejoigne son premier tournage professionnel. Spectateurs ! (Arnaud Desplechin, 2024) a pour objectif de célébrer la magie du cinéma en suivant le cinéphile fictif Paul Dédalus, alter ego de Desplechin. ↩︎
- Eminent cinéaste italien ayant notamment lancé la comédie à l’italienne, Luigi Comencini a réalisé, entre autres, Pain, Amour et Fantaisie (1953), La Grande Pagaille (1960) et Les Aventures de Pinocchio (1972). ↩︎







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