FICHE TECHNIQUE
Réalisation : Brady Corbet / Scénario : Brady Corbet et Mona Fastvold / Direction de la photographie : Lol Crawley / Direction artistique : Csenge Jovari et Alexander Linde / Son : Steve Single et Szabolcs Gaspar / Décors : Judy Becker / Montage : David Jancso / Costumes : Kate Forbes / Production : Proton Cinema, Andrew Lauren Productions, Brookstreet Pictures, Yellow Bear Film et Kaplan Morrison / Distribution : Universal Pictures International France
Interprétation : Adrian Brody, Felicity Jones, Guy Pearce, Joe Alwyn et Raffey Cassidy
Année de sortie : 2025
Lors d’une exposition consacrée au travail de l’architecte László Tóth (personnalité fictive, et joué par Adrian Brody), alors vieillard poussé sur une chaise roulante, sa nièce lui adresse un discours, exposant l’énigme de la construction de son œuvre du centre communautaire. Épilogue de The Brutalist, cette exposition résume peut-être tout le film. Intitulée Les traces du passé de László Tóth, ces traces font écho aux millions de juifs génocidés pendant la guerre, aux constructions de László qui y ont survécu : la mémoire est au centre de l’œuvre du réalisateur et de l’architecte. Ce dernier est hongrois, il a survécu aux camps de concentration et arrive à New-York en 1947. Architecte formé à l’école du Bauhaus1 et dont le talent est reconnu en Europe, il n’est plus qu’un simple immigré aux Etats-Unis. Les 3h35 de film relatent trois décennies de la vie de László Tóth, de son arrivée chez son cousin Attila, qui a effacé toutes ses origines pour ne pas être différent des autres habitants, au chantier commandé par le riche Harrison Lee Van Buren.
Le titre du film fait écho au style brutaliste, un mouvement architectural moderne qui frappe par la répétition de formes géométriques sans ornements et avec comme matériau principal le béton. Si l’architecture est dans le titre, elle imprègne l’esthétique cinématographique. Le mot “fondation”, que l’on voit utilisé à tous les usages, métaphorise l’équilibre sur lequel se tient László et sa famille, mais aussi celle des Lee Van Buren. Pour la famille de László, il s’agit de tout reconstruire dans un pays qu’elle ne connaît pas, et dont la langue lui est au départ inconnue. A l’opposé, dans la famille Lee Van Buren, il s’agit de maintenir un équilibre fragile, si fragile qu’il finit par exploser, lorsque la femme de László révèle le viol subit par son mari par le patriarche de la famille. Ce qui semble le moteur de toute construction est la famille, le centre communautaire des Lee Van Buren est érigé en l’honneur de la mère d’Harisson, décédée quelque temps auparavant. L’architecture est un prétexte narratif pour exposer ce que les protagonistes vivent, les fondations familiales et sociales ont la même importance que celles des bâtiments étudiés.
Autour de ces relations gravite la question mémorielle, puisque la Shoah n’est pas traitée, contrairement aux autres épreuves traversées par László – sa pauvreté à son arrivée et sa toxicomanie. Pourtant, la place de ce traumatisme reste sous-jacente. Elle est rappellée par la présence d’une nièce muette depuis qu’elle est revenue des camps, et par l’ostéoporose de sa femme, une maladie causé par la famine. Erzsébet cherche à retrouver la relation amoureuse et charnelle qu’ils entretenaient avant d’être séparés et que son mari ne la trompe. La recherche est aussi celle de László, jamais satisfait de la beauté de son œuvre. Comme le rappelle avec trop peu de nuances sa nièce à la fin du film, ce qui compte n’est pourtant pas le voyage mais la destination. La recherche devient celle d’un lieu de vie pour les juifs après la Seconde Guerre mondiale. C’est par la survivance de ces femmes et de ces hommes que la mémoire perdure, et par celle des œuvres de László, qui ont survécu à la guerre et lui survivront.
Le film ne parvient cependant pas à combler l’ampleur démesurée de sa durée – un entracte le divise même. Comme un ersatz de chef d’œuvre, il se veut lent et contemplatif mais n’offre rien à observer. La caméra divague à l’intérieur des bâtiments, l’architecture sert d’outil au film sans qu’il en soit fait quoi que ce soit. A la manière du style brutaliste, décrit par le protagoniste “sans superflu”, la caméra n’en fait pas trop, mais sans doute pas assez non plus. On ressent le souhait du réalisateur de faire une œuvre majeure. A la manière d’un architecte, Corbet semble vouloir faire quelque chose de nouveau. Il utilise ainsi l’IA pour modifier la voix d’Adrian Broby, tout en conservant un certain héritage avec une impression horizontale de la pellicule, technique notamment utilisée pour Vertigo (1958, Alfred Hitchcock). L’œuvre doit questionner et impressionner, mais dans la finalité elle ne réussit qu’à ennuyer. Le protagoniste principal n’est pas un héros démiurge, il a ses failles. Il est addict à l’héroïne, on le voit violent et drogué, et il ne correspond pas à une figure de mégalomane comme celle de l’aristocrate Harrison. Finalement, le projet le plus orgueilleux est le film lui-même. The Brutalist, par sa durée, l’immensité de ses décors, et sa division par un entracte, propose une expérience unique, mais dont les failles perdent vite le public.
Lilia Penot
- Le Bauhaus est né en Allemagne en 1919. Il désigne à la fois une éthique architecturale et une école d’arts décoratifs. ↩︎







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