FICHE TECHNIQUE
Réalisation : Damien Chazelle / Scénario : Damien Chazelle, d’après son propre scénario du court-métrage Whiplash (2013) / Direction artistique : Melanie Jones / Décors : Hunter Brown / Costumes : Lisa Norcia / Photographie : Sharone Meir / Son : Craig Mann / Montage : Tom Cross / Musique : Justin Hurwitz / Production : David Lancaster et Michel Litvak / Sociétés de production : Blumhouse Productions, Bold Films, Exile Entertainment et Right of Way Films
Interprétation : Miles Teller, J. K. Simmons et Paul Reiser
Année de sortie : 2014
« Il n’y a pas deux mots dans la langue anglaise plus dévastateur que “bien joué”»1 selon Terence Fletcher (J.K Simmons), professeur et chef d’orchestre jazz qui prend sous son aile Andrew Neiman (Miles Teller). Le jeune homme vit pour la batterie et pour la musique jazz, au point où tout le reste se fond dans le décor à mesure qu’Andrew prend le rythme, s’intègre dans l’orchestre, avance dans la partition. Sur ses baguettes, le sang coule, il est au bord de l’évanouissement, mais il faut continuer à jouer. Whiplash : coup de fouet, Andrew continue à courir même si ses jambes l’ont lâché, pour l’amour du Jazz certes, mais de plus en plus pour l’amour de soi.
Terence et Andrew construisent une relation extrêmement malsaine dès qu’Andrew rejoint l’orchestre : alternant entre encouragements et insultes, le professeur devient une présence de plus en plus envahissante dans la vie du batteur. Sur la partition comme au montage tout s’accélère, la tension monte crescendo, les croches se multiplient à mesure que les personnages autour du duo disparaissent et se font oublier. S’inspirant du thriller psychologique, Whiplash montre ce que devient la musique quand elle est nécrosée par la starification, par l’industrie et par les compétitions. Quand la musique se professionnalise, peut-être que les musicien·nes se dépassent ; ce qui est sûr c’est qu’iels s’y perdent.
Il n’y a rien de resplendissant dans Whiplash, rien à sauver pour Andrew : la colorimétrie froide, l’alternance plan large/plan resserré avec des raccords millimétrés lorsqu’il joue, montrent que son instrument, qu’il maîtrise si bien, lui échappe pourtant. Aucune place à l’improvisation, au simple plaisir de jouer : il s’agit de prouver, aux autres et à soi-même, qu’on est le meilleur batteur de sa génération. Cela passe par des sacrifices : son père ne le comprend pas, il quitte sa petite amie, le jeune homme a un rythme de vie catastrophique. De l’autre côté, Terence apparaît comme accompli : chef du meilleur orchestre Jazz du pays, il terrifie toute une génération de musiciens afin de continuer à exercer son autorité sur eux2. Néanmoins, cette vie réussie n’est qu’illusoire : il est tout aussi seul qu’Andrew, seulement lui ne peut plus rien y faire et revendique cette solitude.
Romantiser la passion, le fait de vivre pour s’illustrer dans ce que l’on aime : il s’agit d’un thème fortement revu dans le paysage médiatique. Il n’y a qu’à aller regarder n’importe quel biopic sorti en salle sur une rockstar : remuer terre et mer, jouer jusqu’à l’épuisement, c’est ce qu’il faudrait pour réussir. Whiplash brise le rêve : Andrew n’a pas les moyens de faire autant de sacrifices, tout le lui rappelle, jusqu’au moment de la compétition où il monte sur scène en retard après un accident de voiture. Il essaie de jouer mais il n’est absolument pas en état, Terence l’humilie et le jeune batteur se jette sur son professeur.
Moment cathartique certes, mais la passion n’est jamais totalement expiée. Andrew ne verra jamais le jazz que par le prisme de la performance, de l’exposition de soi en dépit des autres. Il n’est plus un joueur dans un orchestre, il aspire à être une star et à effacer les autres, à les mener pour mieux le révéler. Whiplash : anatomie d’une standing ovation3, et de ce qu’on sacrifie pour elle.
So







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