L’attachement

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4–7 minutes

Nous vous conseillons vivement d’avoir vu le(s) film(s) traité(s) par nos textes, afin de ne pas être spoilé·es et de mieux comprendre nos propos !

FICHE TECHNIQUE

Réalisation : Carine Tardieu / Scénario : Carine Tardieu, Raphaële Moussafir, Agnès Feuvre, d’après l’oeuvre d’Alice Ferney / Direction de la photographie : Yann Maritaud, Elin Kirschfink / Casting : Tatiana Vialle / Décoration : Pascale Consigny / Production : Antoine Rein, Fabrice Goldstein, Antoine Gandaubert / Société de production : France 2 Cinéma, Karé Productions, UMedia / Distribution : Diaphana Distribution, Orange Studio

Interpretation : Valeria Bruni Tedeschi, Pio Marmaï, Vimala Pons, Raphaël Quenard, César Botti

Date de Sortie : 19 Février 2025

“Je chiale déjà à la BA ! Valeria Bruni Tedeschi est une actrice infiniment touchante !” 
@kamillounanette1, il y a 2 jours

“Valéria est vraiment une actrice extraordinaire !!!”
@christinedelmaere7216, il y a 5 jours

“Ok je vais chialer”
 @leadurand3628, il y a 1 mois

“Ah, si vous commencez l’année par me faire pleurer mon Pio Marmaï, je ne réponds plus de rien, et je vais me mettre à chialer moi aussi, tiens” 
@DanTony68, il y a 1 mois

“Rien que la bande annonce fais chialer 🤦🏼‍♂️😭🙄”
@lumpidoo83, il y a 8 jours

Je suis tombée sur ce petit échantillon de commentaires en scannant la bande-annonce du nouveau film de Carine Tardieu, à la recherche d’une bonne illustration pour cet article. On peut déjà, comme vous avez pu le remarquer, y remettre en question la pertinence des qualificatifs que j’utilise pour parler dudit film. Est-ce vraiment le “film de Carine Tardieu”, ou celui de Valéria Bruni Tedeschi et Pio Marmaï ? C’est effectivement ces deux derniers que l’on retrouve affichés dans les arrêts de bus et sur devantures de cinéma. Ainsi, s’il serait très peu scientifique de ma part de juger des attentes des spectateurs en salle au travers de cinq avis parmi les 215 000 vues de ce trailer, celles-ci n’en sont pas moins révélatrices du rapport au spectateur d’une telle œuvre. Une partie non négligeable des gens qui vont la voir au cinéma savent qu’ils vont pleurer, et ils en sont contents. Qu’est-ce donc alors qu’une larme contente ? Qu’est-ce qu’une larme consentante ? Est-elle moins légitime que celles qu’on nous arrache à l’improviste ? Il me semble que l’emploi même de l’expression “tire-larme”1 pour désigner ce genre d’œuvres trahit le mépris commun qu’il est de bon ton d’avoir pour ce qu’on pourrait qualifier aussi de mélodrame. Ce mépris n’est d’ailleurs pas sans lien avec un certain sexisme intégré, qui revient à faire l’amalgame entre féminité et émotivité, féminité et faiblesse, émotivité et faiblesse. Je m’égare, en me permettant ce pont peut-être trop frêle entre ces quelques commentaires enthousiastes et des commentaires plus cyniques que j’ai pu entendre et moi-même itérer. 

Les larmes ont coulé, autour de moi et sur mes joues, alors que pourtant je ne fais pas partie de cette partie des spectateurs qui savent à quel genre de films ils vont avoir affaire. J’adore la surprise, j’adore pleurer, et surtout, c’est toujours une surprise pour moi de pleurer au cinéma. Alors, bien évidemment, j’ai adoré. Pourtant, je suis aussi une grande cynique, insensible aux gémissements des violoncelles et bien vite moqueuse de ces gros plans sur le visage. Il me semble que ce genre de film fonctionne surtout pour ceux qui ont besoin d’être touchés, qui sont prêts à s’ouvrir, à laisser les sièges devenir des éponges de leur coeur. Il faut être dans un état de sensibilité particulière. Ce qui fait la force du mélodrame, c’est son adaptation totale à la disponibilité sentimentale,particulière, individuelle, de celui qui le regarde. Mais cette disponibilité seule n’est pas suffisante. Ce sont les dialogues qui forgent la moelle du drame, qui laissent l’esprit faire lien entre les souffrances de ces individus et les nôtres, qui créent l’empathie. C’est dans ces lignes que doit se trouver ce plus petit dénominateur commun qui permet la condensation temporaire de plusieurs expériences. Car quand on y pense, on est là face à l’histoire d’un cercle familial très spécifique : celui d’une bourgeoisie intellectuelle blanche et hétérosexuelle. Mais je crois pouvoir affirmer sans trop de mauvaise foi qu’il s’adresse à un groupe plus large. Et par “groupe plus large”, j’entends “les femmes”. Pour me faire entendre, permettez que je partage le premier échange qui a activé le robinet à larmes. “Maman est morte ? – Oui… – Déjà ?” C’est très peu réaliste de dire ça, surtout quand on a cinq ans. Aucune crise de larmes n’est montrée sur le visage du jeune garçon apprenant le décès de sa propre mère. Il reste assez calme. C’est nous qui sommes censés pleurer, parce que ce qui est triste ce n’est pas que sa mère est morte, c’est que les mères meurent, et qu’il n’y a rien à y faire. Ce danger permanent, qui va jusqu’à toucher les plus privilégiées d’entre elles, n’étonne que par sa précocité, et cet étonnement fait mal.

On retrouve ainsi une fresque habile des différents états de la maternité, une notion (malheureusement ?) associée à la féminité : la mort en couche, la fausse couche, la fausse mère, la mère par défaut, la mère en jeu et enfin, la mère en deuil. Il est à la fois grinçant et touchant de voir ces femmes dans leur rapport forcé ou désiré à ce rôle. J’aurais aimé trouver dans la bande-annonce la scène qui les réunit presque toutes, dans la chambre où se repose Emilia (Vimala Pons) après avoir perdu son foetus. Elle réunit dans un seul cadre ces deux mères en deuil, accompagnées de Sandra, acceptée malgré son refus de la parentalité dans cette antichambre de la maternité. Le père, lui, est vite éjecté. D’ailleurs, la paternité est traité sur un ton humoristique, souvent moqueur, qui fait du bien. Il ne s’agit pas non plus de schématiser la masculinité hétéronormée, mais bien de la mettre à nu. C’était agaçant d’abord de suivre les élucubrations de ce papa-poule solitaire, de donner autant de place à ses déroutes sentimentales. Mais subtilement, on donne la voix à ces femmes qui se trouvaient en arrière plan et qui en entrant dans sa vie se font héroïnes à part entière : c’est le cas de Sandra, d’Emilia, de Lucile. Ce procédé démontre à la fois la force d’attraction de la famille au sens traditionnel, tout en donnant à voir sa force destructrice.

Tout ça pour dire qu’il n’y a parfois peut-être pas besoin d’aller au-delà des commentaires en dessous d’une bande-annonce pour comprendre un film.

Geneviève Rivière

  1.  Oeuvre (souvent narrative), donc film ici, qui fait pleurer. ↩︎

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