FICHE TECHNIQUE
Réalisation : Gia Coppola / Scénario : Kate Gersten / Décors : Natalie Ziering / Costumes : Jacqueline Getty / Photographie : Autumn Durald Arkapaw / Montage : Blair McClendon et Cam McLauchlin / Musique : Andrew Wyatt / Producteurs : Robert Schwartzman, Natalie Farrey et Gia Coppola / Société de production : Utopia, High Frequency Entertainment, Pinky Promise et Digital Ignition Entertainment / Sociétés de distribution : Roadside Attractions, Sony Pictures Releasing France
Interprétation : Pamela Anderson / Dave Bautista / Jamie Lee Curtis
Année de sortie : 2025
Sur la scène, dans les coulisses, chez elle, Shelley (Pamela Anderson) est une femme “comme les autres” : avec des réussites et des regrets. La prise de vue en 16mm, souvent en caméra portée et en plan resserré, met en valeur les paillettes sur ses yeux, les seins au creux de son corset, mais fait aussi ressortir par effet de contraste ses chignons mal faits et ses rides. Il s’agit là d’un des thèmes centraux de The Last Showgirl : un corps “vieux” peut-il (encore) être désiré ? Jusqu’à quand peut-on donner son corps en spectacle ? Le 16 mm permet une image plus saturée, avec du grain. Il accentue l’effet de focalisation en déformant le cadre autour des sujets humains, les détachant du décor dans une explosion de couleurs.
The Last Showgirl nous montre le dernier souffle d’une troupe de strippeuses dont le show est annulé parce qu’il ne répond plus aux attentes à la fois commerciales et sociales autour du stripping. Quand Jodie (Kiernan Shipka), une jeune femme de la troupe, lui montre une chorégraphie proche du grinding1, Shelley refuse de la reproduire et même de la regarder. Elle le dit souvent : elle s’insurge contre les show trop sexy, qui tournent au ridicule ce qu’elle vit comme une vocation.
Je ne partage pas certains propos du film : selon moi le cabaret repose sur un rapport constant à la sexualité. Toutefois, cette opposition entre Jodie et Shelley a le mérite d’interroger notre rapport au monde du cabaret et aux autres formes de travail du sexe : Shelley considère son travail comme de l’art, de la danse, elle en parle comme d’une passion. Elle nie toute hypersexualisation qui y serait liée, à la fois lorsque sa fille l’accuse de trop se montrer sur scène et lorsqu’on lui reproche de ne pas être assez sexy. Ce propos exclut l’hypothèse que l’hypersexualisation puisse constituer un volet légitime de l’art ou de la pratique du cabaret. Le fait de montrer et d’exhiber son corps dans les spectacles vivants a aussi été l’occasion pour de nombreux artistes d’une libération sexuelle et de revendications queers2 qui ne sont pas évoquées par les personnages, même quand Shelley invoque une “tradition du cabaret” qu’elle resitue à Paris.
Dans cette valse sourde des générations, le corps vieilli renvoie un regard compétitif à son homologue d’antan. Lorsque la danseuse plus âgée cherche l’inspiration dans la danse classique, son entraînement est mis en parallèle avec un show comique et érotique auquel Jodie assiste. Ainsi, l’ambition artistique de Shelley, appliquée et sérieuse dans son apprentissage chorégraphique, est valorisée face au caractère “facile” et “plaisant” de la nouvelle mode du Show. Une séquence plus tard, Jodie parle de cette expérience de spectateur·ice et se retrouve face à un mur. Shelley la rejette totalement, qualifiant le show de vulgaire et insultant, et rejette les suggestions de sa comparse, ce qui contribue à abîmer leur relation. The Last Showgirl montre deux générations irréconciliables et semble prendre parti pour celle de Shelley, présentée comme passionnée à la fois par la performance et par son histoire. S’il s’agit de rendre hommage à l’histoire du cabaret, la décision de mettre sous silence l’aspect comique, théâtral et même érotique de cet art du spectacle fait des performeur·euses les acteur·ices d’une fracture qui ne tient pourtant que de l’industrie et de ses institutions.
En effet, l’institutionnalisation du Stripping et du monde du Cabaret est justement ce qui met tous·tes les artistes du Show dans une situation de précarité et donc de compétition. La propriétaire de la salle qu’iels utilisent n’est jamais présente à l’écran, mais seulement décrite par ses subalternes comme une femme sénile. C’est elle qui décide unilatéralement d’annuler le Show au prétexte qu’il n’est plus vendeur. De la même manière, la professionnalisation des artistes, en favorisant la formation technique et instituée à l’expérience et les réseaux de sociabilité entre elleux, amène à la marginalisation de celleux qui ne rentrent plus dans le moule et amène à un rapport de force entre employé·es et employeur·euses. Lorsque Shelley décide d’auditionner pour un nouveau Show, elle est humiliée par le jury puisqu’elle ne rentre plus dans leurs standards, qu’elle n’est pas assez “bonne” (ni tant que “femme” ni en tant que danseuse). Soumis à la logique capitaliste, le milieu du striptease et du cabaret devient lui aussi un milieu de normativité et de prédation où les Freaks3 n’ont plus leur place. La pression mise sur les performeur·euses qui sont poussées à trouver un plan de réinsertion professionnelle les pousse à des comportements individualistes et égoïstes qui amènent à du conflit. Ce n’est donc pas tant une question de génération qu’une question d’urgence, de survie dans un monde qui les marginalise tout en les manipulant comme des biens consommables et interchangeables.
Pourtant, cette dernière nuit, elles la font toutes ensemble. Pour le meilleur et pour le pire.
So
21 ans, normalien·e élève étranger, je suis prêt à reconnaître des biais classistes et privilégiés dans ma réflexion . Je sais aussi que certains de mes goûts sont forgés par l’ambiance néocolonialiste dans laquelle j’ai été éduqué·e, bien que je sois une personne non-blanche. Fan de cinéma réaliste et de film-documentaire, je pense préférer les films contemplatifs sans que cela m’empêche d’apprécier des œuvres plus camp.
- La technique du Grinding est une manière de danser de manière érotique et sexuelle qui consiste à se frotter contre un·e partenaire. ↩︎
- “Le Cabaret des Folles” à Paris ou le “Drag Brunch” à New York jouent justement sur cette ambivalence entre impression d’hypersexualisation et revendications politiques. ↩︎
- Terme qui renvoie à l’origine à des personnes ayant des malformations physiques ou une apparence extravagante et qui sont exploitées comme ressorts comiques et/ou érotiques dans des spectacles de danse ou de cirque. Repris par la communauté queer, il renvoie à des personnes marginalisé·es qui interrogent les codes du spectacle et de la représentation et dans lesquels le public peut se se reconnaitre. ↩︎







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