Marcelo Caetano est un réalisateur brésilien. Il a collaboré sur une vingtaine de films comme assistant réalisateur et directeur de casting et réalise Corpo Elétrico en 2017. Baby, sélectionné à la Semaine de la Critique de Cannes 2024, suit Wellington, jeune homme pauliste1. Sorti d’un centre de détention pour mineurs, il rencontre Ronaldo, qui l’introduit au travail du sexe et avec qui il entame une relation.
Sur Baby (en salles le 19/03/2025)

Baby, 2025
Alex Dechaune : Baby est votre deuxième long-métrage. Quelles différences et évolutions avez-vous pu constater dans votre appréhension de l’écriture et de la mise en scène ?
Marcelo Caetano : Les deux œuvres ont des similitudes. Elles ont lieu dans le même endroit, le centre-ville de São Paulo, et les thèmes sont semblables : la quête de l’identité, la construction d’une famille dans un contexte de solitude, la vie dans une grande ville où la plupart des personnages ne sont pas nés… Mais bien sûr, il s’est passé beaucoup de choses entre les deux. Il y a d’abord une différence de budget : Baby a bénéficié de quatre fois celui du précédent. Entre les deux, j’ai aussi réalisé deux séries. La série, c’est encore une expérience différente, qui requiert un matériel narratif plus dramatique et traditionnel. Mon rapport aux images a changé aussi ; Corpo Elétrico était beaucoup plus contemplatif, presque documentaire, là où Baby est totalement fictionnel. Outre mes films, la situation politique a changé au Brésil et dans le monde. Avec la montée des extrêmes droites, je ne peux plus me permettre de porter le regard plus naïf et léger que j’avais sur les choses en 2017. Enfin, j’ai quarante ans aujourd’hui, j’en avais trente-trois alors : ça change beaucoup mon regard sur le monde ! Ce qui reste malgré tout, c’est mon sentiment d’amour pour cette ville que je filme.
A. D. : En passant du format série au format film, vous êtes vous sentis plus restreint ?
M. C. : Le travail est différent, particulièrement dans la question du temps. Dans un long-métrage, on a la possibilité de tourner une scène plusieurs fois, de revenir sur son découpage, de réorganiser la mise-en-scène, de retravailler les textes auprès des comédien·nes… On a la possibilité de faire des erreurs. Avec la série, on ne peut vraiment dédier son temps qu’à une scène par jour : celle qui constitue le cœur de l’épisode. En plus, les comédien·nes qui travaillent pour la télévision sont très occupé·es et ne se rendent pas facilement disponibles pour répéter les scènes. Mais en même temps, cela apprend à dépenser son énergie directement dans l’essentiel. On apprend aussi l’importance de la communication. Pour mon premier film j’avais peur, je pensais que communiquer avec le public c’était le manipuler. Maintenant je vois plutôt ça comme un jeu, une dialectique. Il y a beaucoup de mystère dans la communication certes, mais elle ne doit pas être confondue avec de la discrétion. Pedro Costa, un réalisateur portugais que j’apprécie, voit la narration dans un film comme une balade avec les spectateur·ices dans un couloir : certaines portes sont fermées, d’autres entrouvertes, d’autres ouvertes ; il faut choisir quelle porte on traverse complètement. La série m’a appris comment je voulais diriger ces choix : choisir à quoi je veux dédier ma libido, mon intensité, ce que je veux montrer et au contraire ce que je veux laisser dans le flou.
A. D. : Lorsque vous êtes intervenu pour le Festival Regards Satellites2, vous avez dit que vous écriviez toujours vos scènes en écoutant une musique en boucle. Quelle musique a engagé l’écriture de Baby ?
M. C. : C’est celle qui accompagne la fin du film. Son compositeur n’est pas de ma génération, qui n’aime pas trop la Bossa Nova3 parce qu’elle était surtout écoutée par des riches blancs dans les années 1950. Mais je trouve un côté cinématographique à cette chanson là. J’ai longtemps essayé de la mettre dans différentes scènes du film sans que cela ne fonctionne. C’est quand j’ai travaillé la fin du film avec ces différentes scènes d’improvisation des acteurs qu’elle a trouvé sa place. Il me semble qu’elle donne son identité au film, malgré la bande-son éclectique et étrange. On y trouve de la disco music, de la samba…. Dans toute cette diversité, cette chanson finale suppose qu’on va parler d’une manière épique du quotidien, des gens qu’on voit dans la rue. Ces gens sont des héros, non pas au sens traditionnel du terme, mais parce qu’ils ont survécu à des situations très violentes et qu’ils continuent à danser et à aimer. C’est ce que j’appelle l’« héroïsme possible ».

Baby, 2025
A. D. : Tous vos personnages sont complexes. Pourtant s’en distingue Wellington, surnommé Baby. Comment expliquez-vous son émergence comme personnage principal ?
M. C. : Baby n’a pas une personnalité complètement formée : il change beaucoup par rapport aux mecs qu’il rencontre et au fil de sa quête pour retrouver sa famille. Ce qui m’intéressait était son rapport compliqué au genre : il est marginalisé à l’école pour être trop féminin, puis forcé à adopter une attitude très masculine pour survivre en prison, et une fois sa liberté retrouvée il se retrouve divisé entre ces deux pôles. Cette contradiction interne, je l’ai moi-même rencontrée. Je me sens à l’aise dans l’entre-deux, en tant que queer, que gay. Et ce, même si ma génération, que représente Ronaldo, valorisait la virilité et le binarisme. Cette différence peut être à l’origine d’une violence énorme entre les deux générations. Chez les jeunes de 18-20 ans, il y a une vision moins positive de la matrice cis-binaire, au profit d’une puissance trans très forte. C’est quelque chose que j’aime bien et à quoi je m’identifie plus, quoique je provienne de cette génération très viriliste qui séparait hommes et femmes, gays et lesbiennes. En fait, je m’intéresse beaucoup à Baby, mais je me sens plus proche de Ronaldo. Même dans ma façon d’aimer, d’être autoritaire, de prendre soin sans laisser libre, je retrouve une trace de cette éducation. Alors qu’aimer aujourd’hui, c’est apprendre à laisser l’autre plus libre, que ce soit dans ses relations passées ou futures. J’aime ces contradictions, et le parcours de Baby les traverse.
A. D. : Toujours au Festival Regards Satellites, vous aviez abordé la question de la différence d’âge entre les protagonistes. Vous disiez avoir conscience de la dimension problématique qu’elle pouvait prendre pour les jeunes générations. Est-ce que cette question vous a travaillé durant l’écriture ou avant le tournage ?
M. C. : Comme je l’ai décrit précédemment, la différence générationnelle est centrale dans l’histoire que je voulais raconter. Mais sa dimension problématique m’est apparue surtout lorsque j’ai fait se rencontrer les comédiens du film. Il y a une conscience accrue chez eux de la manière dont cette différence d’âge, qu’ils ont peut-être eux-mêmes pu rencontrer dans leurs relations passées, est critiquable. Dans ma génération, il était très important de trouver quelqu’un de plus âgé pour faire sa formation amoureuse, pour qu’il nous montre le chemin. A quinze ans, rencontrer un homme de quarante ans qui avait survécu à toutes ces situations qui m’attendaient et qui me faisaient peur – la solitude, l’abandon familial, le suicide, les drogues, le sexe – ça m’attirait forcèment beaucoup. Maintenant qu’on a plus d’informations, d’images, de films, de références, la figure d’un copain plus âgé qui nous montrerait le chemin faiblit un peu.
A. D. : Baby est un récit d’apprentissage. Pourtant, le héros n’a pas besoin de découvrir son orientation sexuelle, elle n’est pas une étape dans sa construction. Était-ce une volonté de votre part ?
M. C. : Je déteste les coming out movies ! Pourquoi faire un film sur une question à laquelle tant de gens ont déjà la réponse ? Mon coming out je l’ai fait à quatorze ans, ça ne s’est pas bien passé, mais ça s’est passé. Je suis là ! Je pense que l’orientation sexuelle est plus intéressante lorsqu’elle est croisée à d’autres problématiques. Par exemple, si un coming out a lieu au sein du lieu de travail, d’éducation, du milieu religieux, ou s’il change la perception du genre, de l’action politique ou collective. Dans 120 Battements par minutes (Robin Campillo, 2017), on ne se demande pas si le personnage d’Adèle Haenel est lesbienne ou pas. Ce qui est intéressant, c’est de montrer une collectivité agissant dans un but politique. Dans L’Inconnu du Lac4(2013, Alain Guiraudie), le coming out est intéressant car les protagonistes viennent de la campagne, questionnent la bisexualité… Mais pour moi, la question du désir et celle de la collectivité restent les plus importantes. Le coming out est parfois très individuel, et il est aujourd’hui immergé dans des images de solitude et une vision de la construction narrative d’un point de vue individuel assez néo-libérale. Les questions collectives sont plus importantes car plus rares. Dans ce moment d’affaiblissement de la gauche et du progressisme, de montée de l’extrême droite dans le monde, il m’importe de créer des images de collectivités et de gens qui vivent leur sexualité et leur amour dans l’espace public. C’est pour ça que j’ai filmé une scène de voguing5 dans un bus, au milieu de spectateur·ices hétéros en train de rentrer du travail. C’est ça, mon genre de cinéma.

L’inconnu du lac, 2013
Politique, société et cinéma
A. D. : Pourriez-vous résumer la situation politique actuelle du Brésil ?
M. C. : Le Brésil sort de quatre ans sous un gouvernement d’extrême-droite. La population queer a été attaquée par les évangélistes, par l’Eglise et par le gouvernement. Mais même sous Bolsonaro, les droits que la communauté a acquis, comme la reconnaissance des personnes transgenres ou le mariage pour toustes, restent les mêmes. Ce n’est pas comme aux Etats-Unis, où Trump attaque depuis ses premiers jours au pouvoir les personnes transgenres. La communauté queer a beaucoup résisté, et on a beaucoup de député·es transgenres et queer. C’est génial, car on a des voix dans le parlement, même si c’est la minorité de la minorité de la minorité. Ça donne un peu d’espoir parce qu’on a des institutions très fortes, et que la tolérance de la population brésilienne résiste. Mais j’ai toujours peur : la situation peut changer, et il subsiste une persécution très forte des personnes noires et des indigènes. Maintenant on est sous Lula [Luiz Inácio Lula da Silva, ndlr]. C’est un dirigeant de gauche, mais il n’a aucune relation avec la jeunesse. Il n’a ni téléphone ni réseaux sociaux, et il n’a jamais été si peu populaire qu’aujourd’hui: 70% de la population le rejette et seulement 20% l’approuve. L’extrême droite sous Bolsonaro parlait aux personnes âgées et aux conservateur·ices mais maintenant elle recueille les voix de jeunes de 23 ou 24 ans, comme aux Etats-Unis ou en Allemagne. L’AFD6 a recueilli 20% des suffrages, et on peut craindre un résultat similaire au Brésil ou en France. La probabilité d’une extrême droite victorieuse aux prochaines élections, qui auront lieu l’an prochain, est forte. On n’a pas su renouveler les politiciens progressistes ni construire un discours qui réunit les noir·es, les femmes, les LGBT… On continue chacun·e avec ses luttes loin les un·es des autres. Et je crois que c’est ce qui se passe en France aussi.
A. D. : Avez-vous tourné Baby dans l’espoir qu’il ait un impact ? Pensez-vous que le cinéma puisse avoir un impact politique ?
M. C. : Je pense que le cinéma peut avoir un impact politique, mais qu’il n’est pas ancré dans le présent. Baby est un film indépendant, ç’a été une belle réussite à sa sortie mais ça reste un petit film. Ce sont les années qui l’amèneront peut-être à se faire connaître par d’autres gens et à être vu sous un prisme politique. Le plus important pour moi est de continuer à faire des films comme ça, queer et ancrés dans mon pays. Les nouveaux·elles réalisateur·ices ont peur que de tels films restent niche, ne circulent pas. C’est vrai en partie, mais le temps permet aux films de passer de main en main et d’exister. Mon travail se trouve dans ce dialogue avec les artistes, mon travail c’est les inciter à créer.
A. D. : Vous avez une formation de sciences sociales. En France, la sociologue Geneviève Sellier a sorti un livre en septembre 2024, Le Culte de l’auteur : les dérives du cinéma français, qui révisait la Nouvelle Vague sous un prisme sociologique. S’en est suivi un vif débat qui a opposé une critique cinématographique française défendant l’art pour l’art, et une sociologie qui lirait trop les films comme un outil de représentations7. Comment vous, en tant que cinéaste venant des sciences sociales, conjuguez-vous ces deux pôles ?
M. C. : Je ne crois pas à « l’art pour l’art », tous les choix sont politiques. Je ne suis pas français mais j’ai vécu en France, j’y ai des relations. Je constate une résistance de la part de critiques et de penseur·euses d’une certaine génération aux questions de représentation. Pourtant elles existent, elles sont là : dans les cadrages, le choix des comédiens, la façon de filmer les corps… Il y a des films de la Nouvelle Vague que j’admire : Cléo de 5 à 7 (Agnès Varda, 1962), certains Jacques Demy, certains Truffaut, même certains Godard. Mais il faut les voir comme des films politiques. Il y a une tendance à lire les choix esthétiques des hommes blancs comme des choix universels mais ce sont des choix identitaires. L’identité d’homme blanc hétéro cis est une identité, même si elle est très vieille et très importante dans l’histoire, car très oppressive. Nicole Brenez par exemple, professeure à la Sorbonne, défend le regard « esthétique » et refuse d’appliquer dans sa lecture des oeuvres le prisme de la représentation, qui viendrait selon elle des Etats-Unis. Mais ce n’est pas une idée américaine, la diversité existe en France aussi. Les choix artistiques sont toujours faits en gardant à l’esprit un véritable intérêt pour l’art en général et son histoire, mais ils veulent tout de même dire quelque chose, ils donnent un sens au monde. C’est de cette équation entre donner du sens au monde et en restituer les mystères que naît l’art, et le résultat est politique.

Cléo de 5 à 7, 1962
A. D. : Vous considérez le casting comme un acte politique, et vous affirmez que le choix d’acteur·ices est un choix de visages et donc de représentations8. Une fois les acteur·ices choisi·es, vous entamez un travail de répétitions et de dialogues avec elleux. Dans la mesure où vous n’êtes plus le seul à fabriquer le film, comment considérez-vous votre travail de réalisateur ?
M. C. : Il existe je crois une « signature » de l’auteur, mais elle se trouve davantage dans le choix de l’équipe que dans le film en lui-même. Je suis responsable du groupe que je forme pour le tournage, des personnes qui racontent l’histoire avec moi. Avec d’autres comédien·nes, Baby serait un autre film. Avant Baby je travaillais avec le même chef décorateur, et j’ai décidé d’en changer pour Baby. J’ai choisi Thales Junqueira, un de mes amis. La forme qu’il a pensé, la couleur, les espaces, sont tellement nés de nos dialogues, que le film aurait un aspect totalement différent avec quelqu’un·e d’autre, même quelqu’un·e avec qui j’aurais déjà travaillé. Pour la direction de la photographie j’ai d’abord appelé Pedro Sotero, mais après le début des répétitions j’ai voulu avoir une femme. La communication avec les femmes est toujours très différente de celle avec des hommes. J’ai donc appelé Joana Luz, ce qui a nécessairement changé le film. Envisager un cinéma d’auteur permet de comprendre en les regroupant des obsessions, des excentricités, des goûts, au sein d’une filmographie. Mais le résultat d’un film est toujours collectif. Pour mon premier long-métrage je ne voulais pas indiquer « un film de Marcelo Caetano » : c’est mon premier film, c’est quoi Marcelo Caetano ? Quand j’ai été sélectionné à Cannes j’ai dû le signaler sous ces termes, et je ne comprenais pas pourquoi c’était nécessaire. C’est une façon d’appréhender les films qu’on doit perdre. Cette stratégie a un intérêt commercial, le cinéma d’Art et Essai vit des noms des auteur·ices, mais elle n’a pas de sens au sein de la critique ou des universités. Quand on va voir un film d’Alain Guiraudie on s’attend à des questions autour de la campagne , à un rapport métaphysique à la sexualité, car ce sont ses obsessions. Mais si on change son équipe, si on lui enlève sa cheffe opératrice Claire Mathon, ça change tout. Je suis pour le cinéma d’auteur en façade, mais contre lui en essence.
A. D. : Baby a été sélectionné à Cannes. J’imagine que cette visibilité est importante pour vous ; avez-vous écrit et tourné le film de telle sorte qu’il soit accessible à une communauté non-queer et/ou internationale ? La ville de São Paulo est très présente par exemple. L’avez-vous appréhendée de manière à ce qu’elle soit comprise par un public large ?
M. C. : Ce sont surtout l’équipe et la production qui changent selon que le film soit exclusivement par et pour des brésilien·nes, des paulistes, des queer, ou non. Baby est coproduit par la France et les Pays-Bas, une partie de l’équipe est Française ou Hollandaise, et j’ai eu des financements européens. Ç’a été une chance, car chaque fois que j’étais tenté de faire quelque chose pour que les étrangers comprennent, mes co-producteur·ices m’assuraient que ce n’était pas nécessaire. J’ai appris que ces discussions très brésiliennes et proches de la communauté queer, je pouvais les rendre universellement compréhensibles par mes choix esthétiques. Il me semble que c’est là que se trouve la solution entre art pour art et sociologie : il faut arriver à transformer des questions de représentations en questions esthétiques. C’est ça l’équation. J’ai des envies et des discours importants pour mon pays, pour ma communauté, pour les gens qui habitent mon quartier. Je dois transformer ces idées particulières et politiques dans un langage cinématographique universel par la mise en scène. Je me suis donc inventé quelques règles, comme la nécessité du mouvement : soit le corps, soit la caméra, soit le fond, doit se mouvoir. Pour les rapports sexuels, je ne crois pas plus aux simulations qu’à la pornographie. Les personnages sont des travailleurs du sexe : ça requiert de la sensualité, de la tactilité, de la peau, de la sueur, que la caméra soit proche des personnages… La question n’est pas de concilier sociologie et cinéma : la base c’est la représentation, et on la transforme en art. L’art est le moyen, voilà sa place dans la hiérarchie.
A. D. : Le mouvement est, vous l’avez dit, très important dans Baby. Etait-ce une évidence dès la genèse de l’écriture ?
M. C. : Non, c’est venu quand j’ai commencé à tourner le film. J’aime bien Corpo Elétrico mais il fait plus dans l’observtion, et les plans sont assez répétitifs, ça me dérange un peu. Le cinéma que j’aime est celui du mouvement, si on reprend la distinction de Deleuze9. J’ai regardé beaucoup de films d’Antonioni, mais le cinéma-temps n’est pas mon genre. Je vis dans une ville chaotique et je suis un nomade, donc ça me plait de parler de mouvement.
A. D. : Les personnages sont des travailleurs du sexe (TDS). Y a-t-il eu un travail de repérage ? Vous êtes-vous questionné sur la manière de représenter ce milieu souvent stéréotypé ?
M. C. : J’ai connu beaucoup de TDS brésiliens dès mon arrivée à São Paulo, puis à Paris. En France le discours abolitionniste est très fort, mais au Brésil l’idée est plutôt de donner des droits aux TDS. C’est un métier très présent dans les villes, comme à Rio, très touristique. Pour autant, même si la prostitution n’est pas un crime, il y a beaucoup de persécutions policières et de chantages. C’est un métier qui a beaucoup changé avec internet, on commande désormais un TDS comme on commanderait un Deliveroo. Mais dans le centre-ville, il y a toujours des prostitué·es qui ne travaillent que sur le terrain. Je préfère cette idée d’espace public, de rencontre avec les gens. C’est la mise en avant de cette dimension que j’avais apprécié dans Anora (Sean Baker, 2024). Les comédiens João Pedro Mariano (Baby) et Ricardo Teodoro (Ronaldo)ont fait un important travail de repérage. Ils sont allés dans les cinémas, les saunas, ils ont parlé avec les TDS. De mon côté j’ai beaucoup d’amis TDS, c’est quelque chose de très présent pour moi. A Paris et à São Paulo j’ai pu les inviter à voir le film. Ils ont trouvé leur représentation juste, et c’était incroyable.

Anora, 2024
Sur les sorties en salle
A. D. : Y a-t-il des films récemment sortis que vous conseilleriez au lectorat ?
M. C. : J’ai eu l’occasion d’en voir à la Semaine de la Critique qui sortent en ce moment. La sélection qu’avait faite Ava Cahen était très intéressante. Parmi les films déjà sortis, j’ai aimé Julie Se Tait (Leonardo Van Dijl, 23 février 2025), sur le harcèlement dans le milieu sportif ; La Pampa (Antoine Chevrollier, 5 février 2025) ; et Les Reines du drame (Alexis Langlois, 27 novembre 2024). J’aime beaucoup les films d’Alexis Langlois, c’est une réalisatrice très prometteuse, et une personne incroyable. Dans les films qui vont sortir, Blue Sun Palace (Constance Tsang, 12 mars 2025) et Simón de la montaña (Federico Luis, 23 avril 2025) étaient très bons. Et quant aux films en salles en ce moment, j’ai trouvé très intéressants Les filles du Nil (Ayman El Amir et Nada Riyadh, 5 mars 2025), un documentaire sur les communautés coptes en Egypte. La compétition de Cannes renvoie souvent l’impression d’un amas de monstres, d’immenses réalisateur·ices un peu sadiques. Mais on y trouve aussi dans ses recoins, comme la Semaine de la Critique, des réalisateur.ices qui mènent toujours un travail très collectif. J’espère que ça continue, qu’on ne devient pas un monstre avec le temps(rire).
Entretien réalisé par Alex Dechaune le 07 mars 2025.

Baby, 2025
- Habitant·e de São Paulo. ↩︎
- Le Festival Regards Satellites (L’écran – Saint-Denis) se tient au cinéma L’Ecran, à Saint-Denis. Il s’emploie à donner de la visibilité à des cinématographies internationales minoritaires et innovantes. Baby était sélectionné dans sa compétition 2025. Pour retrouver les autres films de la compétition : Regards Satellites 2025 – Festival Saint-Denis : dates, programmation, billetterie. ↩︎
- « La Bossa-Nova est un type de musique de jazz originaire du Brésil. Elle a été créée par les musiciens brésiliens Antônio Carlos Jobim et Luiz Bonfá, ainsi que par les membres du groupe musical Garotos da Luta. Le style est devenu populaire dans le monde entier depuis sa création dans les années 1960, notamment après avoir été popularisé par l’album « Jazz Goes To College » du pianiste de jazz américain Dave Brubeck Quartet en 1961. » (Source : www.jazzenligne.com) ↩︎
- L’entretien a eu lieu à Epicentre, magasin de DVD. Marcelo Caetano a évoqué L’Inconnu du Lac après en avoir vu le coffret. ↩︎
- Le voguing nait, dans sa forme actuelle, à Harlem (New York, Etats-Unis) dans les années 1970. Dans les communautés queer, drags, afros et latinos, suite aux émeutes de Stonewall (29 juin 1969), les poses de mannequins et notamment des modèles du magazine Vogue sont reprises en des danses assumant féminité et émotions face aux discriminations subies. (source : Expression, identité, danse : tout savoir sur le voguing). Pour en savoir plus : Le voguing expliqué en mots-clés. ↩︎
- Alternative pour l’Allemagne, parti d’extrême droite. ↩︎
- Pour en savoir plus sur le conflit entre critique cinématographique et sociologie : L’universitaire, les violeurs et les esthètes | Le Club. ↩︎
- Propos tenus dans l’interview suivante : Interview – Marcelo Caetano director of BABY. ↩︎
- Gilles Deleuze, philosophe, distingue le cinéma-mouvement du cinéma-temps. Le premier fait participer le·a spectateur·ice au temps du film et ce dernier n’est qu’un outil à l’action de la diégèse, tandis que le second est plus sujet à l’errance et soumet l’action à une aberration qui n’existe que pour elle. Pour en savoir plus : Ciné-club : L’image-mouvement, l’image-temps par Gilles Deleuze ↩︎
Pour aller plus loin, voici le dossier de presse du film Baby, disponible sur le site Unifrance où sont répertoriés de nombreuses informations techniques d’ordre cinématographique.







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