Ma mère, Dieu et Sylvie Vartan

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5–7 minutes

Nous vous conseillons vivement d’avoir vu le(s) film(s) traité(s) par nos textes, afin de ne pas être spoilé·es et de mieux comprendre nos propos !

FICHE TECHNIQUE

Réalisation et scénario : Ken Scott, d’après l’oeuvre de Roland Perez / Composition : Nicolas Errera / Superviseur musical : Varda Kakon /  Production : Sidonie Dumas, Sophie Tepper, Christian Larouche / Direction de la photographie : Guillaume Schiffman / / Chef décorateur : Riton Dupire-Clément 

Sociétés de production : Gaumont Distribution 

Interprétation : Leïla Bekhti, Jonathan Cohen

Année de sortie : 2025

Ceci est une mise en garde. Je vous supplie de ne pas perdre votre temps à apprécier cette triste création. Autour de moi, l’amour d’un public majoritaire me sidère : les abonnés UGC plébiscitent même l’œuvre ! Dépitée d’abord, alarmée ensuite, je constate sur Internet la complaisance de la presse qui qualifie tantôt la chose de “plutôt sympathique” (Inrocks), “touchant et émouvant” (Télérama), ou encore pour les plus coquets de “comédie gentiment foutraque et joyeusement familiale” (Allociné). D’autres ignorent simplement le phénomène, comme on sait si bien mépriser les films de gonzesse, que les plus tolérant.es appelleront avec complaisance des tire-larmes. Personnellement, ce film m’a intrigué en toute bonne foi. J’adorais l’énergie dramatique et familiale que renvoyait la bande-annonce, dont la BO entêtante me laissait régulièrement songeuse entre deux pub de parfum. Et pourtant, le contact de ce film me fout la gerbe, et je me demande quel anti-vomitif aurait pu me sauver de cette maladie.

L’échec du film est pour moi d’abord dans son efficacité. C’est pour cela que je suis d’autant plus perplexe devant sa réussite. Pour moi, il s’agit d’une bande-annonce géante qui enchaîne les montages mal rythmés, accompagnés de violons larmoyants ou d’airs jazzy bien trop guillerets, filant d’une époque à une autre en quelques tableaux dignes d’une pub pour céréales. Le style bon enfant et familial suffit pour m’attirer dans la salle, mais ne suffit pas pour en tirer de l’émotion, de l’attachement, des larmes. Peut-être alors que c’est le label “histoire vraie” qui crée chez d’autres ce que je n’ai pas su percevoir ? Qu’à cela ne tienne, je soutiens que tout cela n’est que l’expression d’un fantasme épuré qui ne garde de l’histoire vraie que ce que veut en garder un enfant gâté, nostalgique, et bien malheureusement majeur. 

L’écrivain du livre original, Roland Perez, voulait raconter sa ptite histoire perso. Avocat embauché chez Europe 1, un des multiples médias de Bolloré1, sa chronique “Ai-je le droit” révèle son intérêt pour des problématiques de droit privé2, et surtout de droit du consommateur3, quand il n’aborde pas des questions de sécurité et d’héritage. C’est un petit bourgeois donc, interprété par Jonathan Cohen, autre petit bourgeois. Il impose sciemment au-dessus de celle de sa mère une voix auctoriale doublement insipide car inconsciente de son statut de dominant. Ne soyons pas aussi naïfs et prenons du recul sur cette prise de position à l’allure inoffensive. En partant d’un regard masculin, on part d’un regard socialement positionné en tant que dominant sur celle dont il parle. Ainsi, on refuse au·à la spectateur·ice de dépasser un statut d’observateur·ice extérieur·e. On empêche une connaissance plus approfondie de l’expérience d’Esther Perez (interprétée par Leïla Bekhti), connaissance qu’il aurait été possible d’acquérir en donnant lui donnant la parole. Ce qu’elle pense, on n’a que le témoignage de son fils pour le savoir. Et son absence, si elle est justifiée (après tout, peut-être n’existait-il aucun moyen d’y avoir accès, ce dont je doute cependant) mériterait au moins d’être abordée, au mieux d’être centrale. C’est ce que, petite naïve que je reste, j’espérais voir à l’écran. 

Je suis tout à fait d’avis que la dévotion absolue d’une mère à son fils, c’est impressionnant et émouvant. C’est même très important de mettre sur le devant de la scène le travail de nombreuses femmes, mortes ou vives, et ce notamment dans l’éducation et la construction de nombreux hommes. Mais son intronisation par Chirac, ses prières qui deviennent réalité, sa résurrection dans la voix d’une autre, ne font que rendre son existence incongrue, exceptionnelle, voire pire : exemplaire. Ce n’est pas elle dont on parle, c’est de « la mère », je dirais même : « la mère selon un fils, ce fils étant Roland Pérez ». Ingrat envers sa muse, Perez fils cache une misogynie subtile sous des relents de glorification d’un féminin sacré4 et d’un exceptionnalisme aux implications sinistres.

L’exemplarité dans laquelle son propre fils l’enferme après sa mort nous empêche de voir comment l’héroïsme maternel est en réalité un héroïsme du quotidien. Cet héroïsme de la « bonne mère » est peut-être un des rares lieux dans lequel une femme de cette génération ait pu trouver les moyens de s’accomplir de façon légitime et valorisé en société. Ce genre de dévotion est certes tragique, incompréhensible pour beaucoup aujourd’hui, mais il ne faut pas s’arrêter devant le pathos et l’incrédulité. On ne peut pas continuer à ne comprendre l’expérience des femmes que dans l’exceptionnalité. Et enfin, ce n’est pas parce que ça a marché pour elle que le chemin qu’elle a suivi fut le bon. Or, c’est ce message que renvoie le monologue adulateur d’un fils qui ne voit que la richesse que lui ont apporté les sacrifices de sa mère. Les penchants toxiques de leur relation ne sont que nuancés par un humour gentillet qui refuse de questionner le reflexe à l’hyper-protection qu’a ce “petit bout de femme”. Tenez vous bien, l’expression que je viens d’utiliser, une moue dépitée sur mon visage, est celle qu’utilise plusieurs fois l’auteur pour parler de sa mère. Le surnom se passe de commentaire. Avec toujours plus de paternalisme, Esther est excusée jusque dans le jeu de Leila Bekhti, qui en fait une femme revancharde et émotive, à l’ouest, de mauvaise foi, un peu menteuse et surtout commère. Pour ne rien arranger, elle est l’archétype droitard de la bonne migrante, qui a fait plein d’enfants pour mériter un foyer tout joli, puis trouver une bonne femme blanche pour son fils… C’est une glorification de la maternité à l’ancienne, celle qui ne s’accomplit que dans l’abandon total de la femme à l’éducation de ses enfants, qui ne permet le développement d’aucune personnalité ou conscience politique. C’est anachronique à en crever.  

Je ne pense pas qu’il faille renoncer à mettre en scène ce genre d’histoires qui redonnent leur agentivité à une multitude de femmes au foyer effacées par l’Histoire. Mais je refuse de ne leur laisser comme existence au cinéma que le souvenir déformé des fils qu’elles ont imbu de leur amour. 

Par pitié, arrêtez de donner droit d’impunité à des doigts d’honneur pareils : arrêtez de croire que des hommes pareils ont la capacité de produire autre chose que leur propre sperme. 

Geneviève Rivière
Élève en cinéma à l’ENS de Lyon. Plutôt du côté matérialiste de la balance féministe. Friande de comédies françaises, entre autres. Je ne pense pas qu’il y ait de bon ou de mauvais film, c’est avant tout une histoire de réception, de contextualisation, et de convictions.

  1. Vincent Bolloré est un industriel, homme d’affaires, propriétaire de médias et milliardaire français. Ces dernières décennies, il est devenu graduellement l’actionnaire principal de nombreuses chaînes de média, comme C8, CStar, CNews, Canal+, ou encore Europe I, Europe 2, RFM, Le Journal du dimanche, JDD Magazine (source : désarmerbolloré.net). Son influence est de plus en plus remarquée, et menace fortement la liberté du quatrième pouvoir que constituent les médias dans une démocratie saine. Plus d’informations sur cet article de France culture : https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/l-enquete-des-matins-du-samedi/l-empire-mediatique-de-vincent-bollore-ne-cesse-de-croitre-2177895
    ↩︎
  2. En droit, on distingue le droit public du droit privé. Là où le premier se charge de régler les problèmes entre l’Etat et les individus, le droit privé se charge des problèmes entre personnes privées, c’est-à-dire entre entreprises, entre individus, toute personne qui n’est pas une personne publique. ↩︎
  3.  Le droit de la consommation appartient à la sphère du droit privé, il désigne le droit régissant les relations entre consommateurs et professionnels. ↩︎
  4. La notion de féminin sacré renvoie à une croyance ésotérique selon laquelle les femmes posséderaient un pouvoir surnaturel particulier, activable grâce à une initiation occulte. Cette hypothèse est parfois reprise et valorisée par des mouvements féministes, notamment dans certaines tendances mystiques de l’écoféminisme. Elle est aussi et surtout fortement critiquée par les féministes matérialistes, qui y voient une nouvelle manière d’essentialiser la femme. ↩︎

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