Ciné-club avec Gouinema TENTATIVE DE CHORALE CRITIQUE

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6–9 minutes

Nous vous conseillons vivement d’avoir vu le(s) film(s) traité(s) par nos textes, afin de ne pas être spoilé·es et de mieux comprendre nos propos !

Tous les deuxièmes mardis du mois, l’association Gouinéma invite les lesbiennes et les personnes queer intéressées à voir un film dans une salle de cinéma pour en discuter ensuite autour d’un verre. Ces débats sont l’occasion de se réapproprier les espaces sociaux et culturels en tant que personnes queer. La conversation est horizontale et  favorise une prise de parole libre et bienveillante. L’association promeut ainsi le ciné-club comme un dispositif de médiation culturelle et un projet d’autodidaxie communautaire. 

La Jetée désire diversifier les paroles qu’elle met en valeur. Nous avons donc proposé à Gouinéma de retranscrire un de leurs débats, afin de proposer pour nos lecteur·ices de nouveaux points de vue et une autre façon d’échanger autour d’un film. Cet article a donc une forme un peu spéciale, née de cette collaboration et de paroles chorales. Pour des questions de lisibilité, nous avons regroupé et reformulé certains avis, en mettant un soin particulier à conserver et partager fidèlement toutes les opinions. 

Le débat sur Baby se fait à La Mutinerie. Les participantes se répartissent en deux groupes de cinq ou six personnes. Dans chacun de ces groupes, une personne de l’équipe de Gouinéma relance la conversation en posant des questions, en gras dans la retranscription, sur un point précis du film. 

Puisque le débat a eu lieu après le visionnage de Baby (Marcelo Caetano, 2025) sa retranscription est nécessairement remplie de spoils, et peu compréhensible à celleux qui n’auraient pas vu le film. 

Dans le doute, voici un court résumé de Baby

À sa sortie d’un centre de détention pour mineurs, Wellington se retrouve seul et à la dérive dans les rues de São Paulo, sans nouvelles de ses parents et sans ressources pour commencer une nouvelle vie. Il fait la rencontre de Ronaldo, un homme mûr qui lui enseigne de nouvelles façons de survivre. Peu à peu, leur relation se transforme en passion conflictuelle.
Les personnages principaux sont donc Wellington, surnommé Baby, et Ronaldo, qui le prend en charge et avec qui Baby entame une relation. Autour d’eux gravite notamment Priscilla, l’ex-conjointe de Ronaldo. Elle élève leur fils avec sa compagne Jana. 

QUELLE SCÈNE DU FILM VOUS A MARQUÉE ? 

Toutes les scènes évoquées par les participantes au débat sont joyeuses – une joie familiale surtout, que la famille soit biologique ou alternative. Les retrouvailles de Baby avec sa mère, les scènes de voguing, la rencontre de l’ancienne compagne de Ronaldo, sont successivement évoquées. Seule la dernière rencontre de Baby et Ronaldo est évoquée avec désaccord : certaines l’ont trouvée forte, d’autres regrettent que sa temporalité floue en affaiblisse la portée. 

Formellement, le réalisme de Baby est apprécié, allant jusqu’à faire oublier que les acteur·ices en étaient. Ce réalisme n’est pas transparent pour autant puisqu’une zone d’ombre est particulièrement sujet de discussions : le frère de Baby. Évoqué auprès de Ronaldo au début du film, il disparaît ensuite complètement de la diégèse. 

Le travail du son a marqué aussi, particulièrement les voix entourant Baby à sa sortie de prison.

Les personnes qui participent au débat ne savent pas comment se situer par rapport à cette fiction gay. Certaines regardent peu d’histoires au masculin, et se plongent avec plaisir dans la vie de cet autre, gay brésilien. Mais la violence des rapports, le travail du sexe, le chemsex, sont des tropes souvent associés à l’homosexualité masculine. Les participantes en interrogent la pertinence et l’ancrage réel. Est retenu surtout les différences générationnelles dans le vécu homosexuel masculin. Là où les jeunes ami·es de Baby sont libres, les adultes, financièrement plus aisés, sont confinés dans des boîtes de nuit et rappelés à la vie de famille qu’ils ont construite avant de vivre leur sexualité. 

QU’AVEZ–VOUS PENSÉ DE LA DIFFÉRENCE D’ÂGE ?

Elle a posé question pour toutes. Wellington est présenté comme très influençable, et plein d’une vulnérabilité qu’on explique par ses deux ans passés en prison. Son jeune âge est explicité par le film : il semble du même âge que le fils de Ronaldo, et la caméra le positionne en infériorité. Son surnom de “Baby” le résume bien : il convoque un féminin infantilisé et sexualisé. Mais c’est lui-même qui se l’approprie face à Ronaldo, ce qui lui donne une agentivité nouvelle. 

Les intervenantes nuancent : la différence d’âge est problématique en soit mais réfléchie narrativement et dans sa mise en scène. Il semble naturel que le plus âgé aide le vulnérable, bien que cette aide devient une dépendance. Leur relation reste floue. Ce n’est qu’à la fin que Baby fait quelque chose pour lui-même, en n’ayant plus à travailler difficilement et quotidiennement, lorsqu’il sort avec Alexandre. Cette relation n’est pas filmée comme idyllique, et Baby s’en émancipe à la fin. Au contraire, c’est avec ses ami·es de voguing que le héros semble le plus épanoui.  

Cette différence d’âge met en fait le doigt sur la différence de classe, qui subordonne tout le film. La boîte de nuit et le sauna mettent en scène des hommes riches, mais faisant autant appel au travail du sexe que la salle de cinéma, aux airs plus insalubres. Le travail du sexe est partout. 

UN PERSONNAGE A–T–IL DAVANTAGE RETENU VOTRE SYMPATHIE QUE LES AUTRES ? 

Toustes ont été apprécié·es pour leur caractérisation nuancée, et la déconstruction que le film opère sur les stéréotypes auxquels ils pouvaient renvoyer aux premiers instants. Ainsi, Baby semble menaçant en sortant de prison mais rejoint vite ses ami.es pour voguer ; ainsi, Ronaldo porte une virilité avec laquelle contraste sa vie de famille. 

Priscilla et Jana ne s’en distinguent pas moins de ce père, leur appartement étant filmé dans des tons chauds et une lumière pleine, tandis que l’appartement de Ronaldo est plongé dans un vert sombre. Elles sont les seules personnages féminins du film ayant un vrai développement, ce qui ne pose pas problème aux intervenantes qui y voient l’occasion de mieux traiter de l’homosexualité masculine et des spécificités du travail du sexe masculin. Elles sont presque maternantes envers Baby, qui coupe tout de même les ponts avec elles, sans doute parce qu’elles lui rappellent trop Ronaldo. Dans certains films, quand peu de femmes sont présentes, elles sont essentialisées, représentent une « nature féminine » stérile. Ici, parce qu’elles sont lesbiennes, les femmes sont des individus et non des types. 

PENSEZ–VOUS QUE LA FORME SERVE LE MESSAGE ?

Le sommeil a retenu l’attention d’une des intervenantes. Baby est à la recherche d’un endroit où dormir. Après le métro dont il se fait violemment chasser par un policier, il vit chez Ronaldo, puis partage une sorte de coloc avec ses amis. Cette dernière scène est très belle : Baby ne dort pas mais a l’air pensif sur son téléphone. Quand il l’éteint, tout est noir, et le plan coupe peu après.

Les intervenantes retiennent la maîtrise formelle de l’ensemble du film. Elle se remarque d’autant plus que la toute dernière scène abandonne complètement les conventions cinématographiques, et fait se rendre compte d’à quel point le reste du film est conventionné. Sans doute parce que ses thèmes – l’homosexualité, le travail du sexe, le Brésil – ne sont pas très accessibles au grand public français, il importait que la forme le soit. C’est comme si faire une mise en scène sobre était un parti-pris, pour ne pas faire de la forme du film un obstacle supplémentaire à sa réception. 

Certains plans sont très beaux tout en servant la narration. Dans la scène avec le voyeur, les ombres de Baby et Ronaldo sont projetées sur cet homme en train de les regarder. Cela fait sentir que la scène va dégénérer d’un moment à l’autre. À cette beauté visuelle s’ajoute une variété musicale dans le travail de la bande-son. Il y a beaucoup de percussions et de voix au début, notamment la fanfare de prison qui permet de tourner l’espace carcéral depuis un angle plus positif que celui habituellement montré. Puis, les chansons sont plus populaires, notamment avec Dalida. Les mélodies sont variées et parfois intenses, donnant un air presque expérimental au tout.  

ET QU’AVEZ–VOUS PENSÉ DU RYTHME ?

Il était un peu angoissé, toujours un peu en train de courir et de s’enchaîner. Quelqu’une s’est souvenue son visionnage d’À Plein Temps, dans lequel Laure Calamy court tout le temps. Elle explique cette vitesse dans la précarité chronique du travail de Baby : il est coincé dans une logique de survie qui implique de devoir prévoir le futur malgré sa volonté de vivre au jour le jour.

Au sein de cette frénésie marquée de très rares moments de pause, peu d’indices permettent de situer le temps écoulé. Au contraire, chaque fois qu’il est indiqué, il ne correspond pas à ce que le·a spectateur·ice attendait. Ainsi la semaine que Baby passe avec Alexandre semble durer des années, et à l’inverse quand il retrouve Ronaldo des mois après leur rupture, il semble ne s’être écoulé qu’une semaine. En même temps, la violence du vécu de Wellington explique le temps qu’il doit prendre pour revoir Ronaldo, une dernière fois, en souriant. 

COMMENT RESUMERIEZ–VOUS LE FILM EN UN MOT ? BABY VOUS A–T–IL FAIT PENSER À UN AUTRE FILM ?

Réponds et partage anonymement ton point de vue sur la question ! Peut-être que l’auteurice te répondra…

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