FICHE TECHNIQUE
Réalisation : Radu Jude / Scénario : Radu Jude / Montage : Catalin Critutiu / Photographie : Marius Panduru / Costumes : Ciresica Cuciuc / Décors : Andreea Popa / Production : Rodrigo Teixeira, Alexandru Teodorescu / Sociétés de production : Saga Film, Bord Cadre Film, Creative Europe Media / Société de distribution : Météore (France)
Distribution : Adonis Tanta, Gabriel Spahiu, Eszter Tompa
Date de sortie : 15 octobre 2025
Sang contrefaçon
Qu’y a-t-il de plus terrifiant qu’un cinéaste qui s’égare sur les routes de la mégalomanie ? Pour Halloween, Radu Jude sort son Dracula, se réappropriant ainsi le mythe du vampire croulant dans les Carpates. En 15 chapitres, il décline le conte gothique à la sauce roumaine, spécialement à la sauce judienne1. On retrouve alors les thèmes habituels du cinéaste2, au prisme de la métaphore du vampire : rapports de classes marxistes, rapport au roman national et au passé ou rapports socio-sexuels.
Sur le plan théorique, le projet d’un Dracula par Radu Jude avait un attrait. On pouvait imaginer un monstre bicentenaire dont l’errance satirique témoigne des changements structurels de la société roumaine moderne. Au final, le cinéaste nous propose un pêle-mêle d’histoires narrées par un double du réalisateur qui cherche à faire une adaptation de Dracula en requérant à l’intelligence artificielle. Certes. Les nouvelles technologies ont toujours fasciné Radu Jude, tant elles prennent part à la mutation psychologique de la société. D’ailleurs, dans N’attendez pas trop de la fin du monde, il utilisait déjà un filtre Instagram pour la plastique de son personnage principal. Le film prend alors des allures de livre de conte, où trône au milieu la figure du réalisateur désabusé qui cherche à raconter quelque chose de sa démarche.
Ici, réside la faille de Dracula. Le réalisateur, dans la fiction et dans la réalité, prend tellement de détours qu’il en perd la destination de son film. D’histoires en histoires, on comprend où va la satire de Radu Jude, on devine sa morale. De chapitres en chapitres, on attend de voir par quels moyens alambiqués il va raconter sa fable éculée. On ressort lessivé mais pas vampirisé par ce film, qui semble être drainé de sens, sucé jusqu’à l’os, pour finalement ne raconter qu’un foutoir salace et irrévérencieux qui ne fait rire que son réalisateur.
Toutefois, le réalisateur laisse apercevoir un film pertinent derrière la porte entrebâillée de sa gourmandise et de son mauvais goût. L’histoire utilisée en fil rouge pourrait résumer le peu de sens que donne le réalisateur à son film. Elle aboutit à une conclusion logique, soulageant le spectateur de son enfer. Car si Dracula est long, il lasse. Si l’excès rabelaisien fait parfois mouche, il écoeure. Et, l’utilisation des images en intelligence artificielle, adéquate avec la démarche esthétique de Radu Jude, ne construit rien dans le tout du récit et finit par être des chimères sans vie qui ne seront pas discutées par la forme ou par le fond du film. Plane alors l’impression d’un geste raté, corrompu par l’envie de choquer vainement de Radu Jude.
Dracula n’a, alors, de vampirique que l’énergie dévitalisante. Son réalisateur suce l’aspect critique et intellectuel hors de son œuvre, diffusant un cadavre de film lyophilisé de réelle substance. On ressort de la salle avec l’impression d’avoir assisté à un égo-trip dérisoire d’un réalisateur qui se filme dans un miroir en pensant être disruptif. Avec son œuvre, Radu Jude s’est limé les canines et ne mord qu’avec les molaires son public habituel, imperméable à cette proposition aux allures de magnum opus raté.3
Pourtant, Radu Jude est, d’ordinaire, un sale gosse qui séduit malgré ses crasses. Sous son irrévérence, il rend compte de la société contemporaine. En confrontant les archives aux images du présent et à celles permises par les nouvelles technologies, il crée une discussion sur la représentation, par l’exploration plurielle du médium cinématographique. La rétrospective qui a eu lieu au Centre Pompidou x MK2 bibliothèque a permis de remettre en lumière le travail de ce cinéaste archiviste décalé. Son film Kontinental 25’, sorti fin septembre, reflète plus la démarche de sondage topographique et politique du personnage dans la ville que fait régulièrement jouer Radu Jude. Même s’il est assez mineur dans la filmographie du réalisateur, il y surélève son discours et sa mise en scène par rapport à Dracula. Malheureusement, pour l’instant, Radu Jude laisse dans sa filmographie une tache de sang (peut-être pas indélébile), faisant repartir son spectateur avec une vaine migraine assommante, plutôt qu’une fièvre liée à une morsure vampirique.
Andéol Ribaute
Qui n’a pas vu de bons films de vampire au cinéma depuis 20134.
- Relatif à Radu Jude. ↩︎
- Dans le film Aferim! (2015) et Peu m’importe si l’histoire nous considère comme des barbares (2018), le cinéaste confrontait le roman national à leurs archives respectives et à leurs représentations. Il réalise également le film Bad luck baning or Loony porn (2021), auréolé de L’Ours d’Or à la 71e Berlinale. Son film N’attendez pas trop de la fin du monde (2023) est un brûlot critiquant l’impérialisme, le capitalisme et le masculinisme ambiant et reste son film le plus acclamé à ce jour. ↩︎
- Les Cahiers du cinéma lui ont donné une étoile, alors qu’ils encensent d’habitude les films du cinéaste. ↩︎
- Je n’ai pas encore vu Sinners cependant. ↩︎







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