FICHE TECHNIQUE
Réalisation : Boris Lojkine
Scénario : Boris Lojkine, Delphine Agut
Année de sortie : 2024
Dans tout Paris, Souleymane pédale sans relâche et cumule les livraisons. Ses jambes poussent, ses yeux balaient la route et ses oreilles tentent de pénétrer sa mémoire d’une histoire supposée être la sienne. Le temps presse car en deux jours, il doit la mémoriser in extenso pour maximiser ses chances d’obtenir gain de cause lors de son entretien à l’OFPRA (Office Français de Protection des Réfugiés et des Apatrides).
Collés, scotchés, bouche bée, voilà comment le film nous a laissé.es. Il se termine brutalement et un générique sans musique se lance, pourtant personne n’ose bouger, il ne s’est opéré aucune suture avec la réalité. On ose à peine regarder ses voisin.es. Le rythme effréné de L’Histoire de Souleymane laisse des séquelles, signe que l’hybridation des genres cinématographiques a fonctionné. Avec l’intensité rythmique et la proximité physique caractéristiques du thriller (on tremble pour le personnage, son corps devient le nôtre), on nous catapulte au visage l’authenticité nue du drame naturaliste voire du documentaire. Le résultat est sans appel : si le documentaire devient parfois trop cru, il perd son/sa spectateur.rice qui se protège et quitte la séance, tandis que L’Histoire de Souleymane ne nous laisse pas le temps de nous protéger, il nous fait tout ingurgiter sur le champ ; pas le temps de prévenir, il faudra guérir.
Le sujet : un scalpel. Ni trop documentaire, ni trop pathétique, aiguisé par le rythme, il cisaille notre incrédulité.
Mille artifices contribuent à ce que l’on épouse le plus totalement possible le point de vue de Souleymane. Le son d’abord : il n’y a jamais de musique, la bande son nous donne les oreilles du héros. Champ sonore matériellement saturé, sur ces oreilles sont toujours cloués des airpods. Champ visuel saturé aussi, la caméra souvent portée à l’épaule ne se décolle que rarement du personnage. Résultat : un bokeh permanent ou presque, une faible profondeur de champ, la mise au point faite sur notre environnement, ce qui restitue à merveille les perceptions d’un cycliste en ville toujours pressé.
Sur l’effet que produit cette hyper-proximité, je suis partagé. D’une part, on est dupé.es, on croit en sortant de la séance que l’on a appris quelque chose, que L’Histoire de Souleymane nous a renseignés sur une réalité, quand cela ne peut être vrai puisque l’écriture du personnage repose sur la nécessité d’obéir à une exigence de vraisemblance et d’empathie. On est poussé.es à prendre le personnage pour la synecdoque d’un groupe de personnes. Illusion dangereuse. D’autre part, même si cette empathie généralisée est maladroite à bien des égards, est-ce vraiment le problème numéro un de notre monde aujourd’hui qu’un excès d’empathie ? Sûrement qu’il nous faut des films coup de poing comme celui-ci, qui ouvrent une brèche au moins temporairement dans l’ordre de nos idées, et donnent une chance à chaque spectateur.rice d’agir un peu mieux envers son prochain en sortant de la salle.
Baptiste Hoarau







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