FICHE TECHNIQUE
Réalisation : Céline Sallette
Scénario : Céline Sallette, Samuel Doux
Année de sortie : 2024
Niki, apparaissant pour la première fois à la caméra, est subordonnée, mannequin passive et indifférente aux commentaires faits sur elle. Elle rentre chez elle en mère débordée et épouse. Elle est, dans une troisième scène, actrice, certes professionnellement active mais encore et toujours sous le joug d’un tiers, d’un homme démiurge, dont la parole est performative mais dont le visage est invisible. Les premières minutes installent Niki dans le quotidien d’une femme bourgeoise, active mais jamais agissante, offrant son visage et son corps comme objet utile et utilisé.
La suite du film la dépeint sur une dizaine d’années, moins en artiste qu’en femme qui découvre et construit son identité par l’art. A plusieurs reprises des flashbacks relient son enfance, sa « prison dorée », les actes incestueux de son père à son égard, et une angoisse muse, un désespoir dont naîtra sa création. Être peintre, être plasticienne, être sculptrice, c’est être, c’est reprendre possession de son corps et de son esprit, les rendre créatifs et féconds. Niki fonctionne de la même manière que son œuvre Tir : elle se façonne en se détruisant, son art naît de sa mort.
Il est une chose étrange dans un biopic sur une artiste : l’absence de présence visuelle de son art. Les toiles de Saint-Phalle (dont le nom n’est d’ailleurs prononcé qu’une fois, et très tardivement) ne sont jamais montrées de face mais au mieux évoquées, décrites, regardées ou présentes de dos. Ce procédé peut être frustrant pour des admirateur·ices de la plasticienne, mais il permet de susciter la curiosité et l’imagination chez un public la connaissant peu ou mal . C’est particulièrement le cas lors de la scène dans laquelle Niki expose un portrait de son amant et enjoint le public à lancer des fléchettes sur ce visage dans un processus de projection et d’évacuation de la colère. Le·a spectateur·ice de cinéma ne peut réaliser cette action physique, qui se voit donc transformée en action mentale : ne pas voir le tableau permet d’y projeter d’autres figures, plus personnelles.
Le film offre d’autres propositions très intéressantes. Outre le travail minutieux des décors et costumes, et malgré une organisation contingente (et un peu lourde) en chapitres distincts, l’usage du split screen se démarque méliorativement. A trois reprises l’écran est divisé en deux colonnes, avec dans chacune d’elles des personnages évoluant dans une même temporalité, mais dans une géographie différente. Sa première utilisation met ainsi en scène d’un côté la famille de la jeune Niki, sans elle, mangeant à table avec raideur et sous la domination autoritaire et violente du patriarche,. De l’autre, sur le plan de droite, Niki est attablée seule à la cuisine, accompagnée de la domestique de maison lui prodiguant caresses et attention. Le plan se referme quand la jeune fille se penche en arrière, faisant disparaître son visage au-delà du cadre et donnant l’impression qu’elle est avalée par son père, dont la bouche grande ouverte est à l’extrémité du plan de gauche. Le procédé cinématographique donne une force inédite à cette scène pour exprimer le non-dit de l’inceste ; en quelques minutes, dans une figure visuelle renvoyant à Cronos dévorant ses enfants, il nous est donné à voir la puissance destructrice du contrôle paternel.
La subtilité du film est un de ses grands atouts. Tour à tour sont illustrés la violence des traitements subis à l’hôpital psychiatrique, la douleur et la complicité des discussions au sein d’un couple, la dépression, le sacrifice exigé pour une vie d’artiste, et la difficulté de la construction de soi. Pas une fois cela n’est fait de façon caricaturale, ridicule, victimisante ou trop appuyée. Niki oscille entre douceur et justesse, sans naïveté ni manichéisme, témoignant d’une philanthropie remarquable.
Loin des biopics exaltant sans recul le génie d’un homme, c’est le portrait d’un exceptionnel au quotidien qui est dressé. L’habituelle association des femmes à l’intime et au foyer donne ici au biopic sa force et son originalité. S’écartant des illustrations grandioses, le film offre un portrait humain de l’artiste en devenir.
Pour aller plus loin :
– Le dossier de Lilia Penot sur la difficulté de rendre un biopic artistique (publié le 19/10/2024).
– L’article de La Déferlante sur Niki de Saint-Phalle (n°14, Dessiner, pp. 138-141) ; Niki de Saint Phalle, voler le feu — La Déferlante (revueladeferlante.fr)
Alex Dechaune







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