Etude du biopic : entre fidélité historique et innovation artistique

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Nous vous conseillons vivement d’avoir vu le(s) film(s) traité(s) par nos textes, afin de ne pas être spoilé·es et de mieux comprendre nos propos !

Le Biopic a-t-il un intérêt artistique et  cinématographique ? 

A force de voir des biopics surgir un peu partout au cinéma, je me suis interrogée sur  sa portée artistique et cinématographique. Le « Biopic », issu de la contraction anglaise Biography in motion pictures, désigne l’adaptation cinématographique d’un évènement ou de la vie d’un homme ou d’une femme célèbre. Le premier biopic est réalisé par Méliès sur Cléopâtre en 1889. Le genre se voit vite attribuer une portée didactique, il se destine aux élèves comme une façon ludique d’apprendre, et il devient rapidement populaire pour son approche simplifiée et fictionnalisée de l’histoire. Encore aujourd’hui, ces films sont une valeur sûre pour les producteurs. Leur narration facile, reprenant les événements clés d’une vie, et la notoriété déjà établie de leur protagoniste, leur assure un public sans même devoir prouver leur qualité. Comment, alors, intégrer une portée artistique et cinématographique dans ce schéma habituel ?

 Le geste créateur entre réalité et fiction 

Dans la majorité des biopics, la liberté artistique du réalisateur est remise en question par ce genre par essence relié à un certain besoin d’authenticité, de « réalité » historique. Ils permettent la reproduction d’une époque, d’un passé, d’un personnage, qui doivent être jugés crédibles auprès du public ciblé. En résulte un travail plus historique qu’artistique, se fondant sur des écrits et des témoignages, affichant une recherche de véracité. L’œuvre d’Abel Gance Napoléon sortie en 1927 s’inscrit dans cette ambition. Lorsqu’il se lance dans son projet, Gance  dispose d’un grand nombre de ressources historiques, lui permettant de recréer, fidèlement aux sources, la vie et l’époque de Bonaparte. La réalité retranscrite correspond cependant à une vision nationaliste voire fasciste, du moins fantasmée. 

Si le public du film est en partie assuré par la popularité de son protagoniste, cela demande néanmoins une rigueur de la part de l’équipe. C’est ainsi que s’est vu reproché au Napoléon de Ridley Scott sorti en 2023 la modification de certains passages de la vie de l’empereur. La simplification de l’histoire que nous donne à voir ces films, souvent au profit d’un sensationnalisme, aboutit à une normativité du genre. 

Le biopic politique : acte militant 

« Le cinéma substitue à nos regards un monde qui s’accorde à nos désirs » écrivait André Bazin dans Qu’est-ce que le cinéma. Le biopic est un lieu de pouvoir, permettant de réunir et galvaniser une population autour de sa résonance historique.

Durant ces dernières années en France, on peut compter trois biopics majeurs sur des figures politiques françaises : De Gaulle réalisé par Gabriel Le Bomin, Simone le voyage du siècle réalisé par Olivier Dahan, et L’Abbé Pierre : Une vie de combat réalisé par Frédéric Tellie. Tous trois se sont vus accorder un budget variant entre 11 et 18 millions d’euros, ce qui illustre bien l’importance de ces films pour l’industrie française. Ils se caractérisent par la mise en scène d’un discours et l’habileté oratoire de leur personnage, comme le  relèvent Delphine Letort et Taina Tuhkunen. Dans De Gaulle par exemple, Lambert Wilson est filmé dans un clair-obscur rouge, et l’importance de son discours est notifiée par un très lent  panoramique, comme si le spectateur devait se concentrer uniquement sur ce qui était dit. Cela est accompagné d’une musique classique lente, soutenant l’exacerbation de la portée du discours. Plus qu’une œuvre cinématographique, le film se confère un but politique.

Par ailleurs, il semble nécessaire de s’interroger sur les choix des personnalités mises en scène et la manière dont elles sont représentées. Le biopic représente des personnages célèbres, se plaçant comme un miroir de nos sociétés. Il est dès lors intéressant de se questionner sur les biopics réalisés sur des personnes racisées. Le neutre pour le cinéma  occidental étant considéré comme l’homme blanc hétéro, s’en éloigner représente parfois le risque de  s’exposer à des critiques. Un des biopics les plus célèbres réalisé sur un  personnage racisé est Malcom X par Spike Lee en 1993. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si c’est Spike Lee, un réalisateur déjà reconnu par ses pairs qui réalise ce biopic.

Les  femmes noires quant à elles, souvent caricaturées dans les fictions, peuvent se voir octroyer une image réaliste et complexe. Les biopics The Josephine Baker Story de Brian Gibson en 1991 et Introducing  Dorothy Dandrige de Martha Coolidge en 1999 permettent ainsi un portrait nuancé et profond de leurs sujets. Bien que ces deux téléfilms ne soient que très peu connus, ils n’en  restent pas moins intéressants dans leur traitement de ces personnalités. 

Dépasser le mythe pour créer une œuvre 

« Quand la légende est plus belle que la réalité, il faut imprimer la légende » Cette  phrase énoncée à la fin de L’homme qui tua Liberty Valance de John Ford témoigne de  l’importance du mythe autour du personnage mis en scène. En effet, le biopic peut être  considéré comme une œuvre artistique lorsqu’il s’affranchit de son sujet pour créer un nouveau « personnage ». Pour se placer en opposition aux biopics plus classiques, le film doit se  faire novateur par sa forme et son traitement.

Le film I’m not there réalisé par Todd Haynes en 2007 fait incarner Bob Dylan par six acteurs différents, dont Kate Blanchett. Ils incarnent chacun une personnalité du chanteur, mettant en exergue ses nombreuses caractéristiques. Une des premières scènes est d’ailleurs une autopsie du corps de Bob Dylan, mise en abyme du souhait de Todd Haynes d’étudier et d’essayer de comprendre ce personnage. Le  spectateur se voit dès lors accorder un travail actif par un biopic qui ne se veut ni réel ni vraisemblable. Je reviens de nouveau à Bazin : « c’est en dénaturant l’œuvre, en brisant ses cadres, en s’attaquant à son essence même, que le film la contraint à révéler certaines de ses virtualités secrètes ». Déconstruire la vie d’une personnalité suppose néanmoins que le public la connaisse un tant soit peu avant de voir le film.

Avec son  film Marie Antoinette réalisé en 2006 Sofia Coppola met en scène l’adolescence de la jeune reine de France. Elle est montrée comme une jeune fille capricieuse, portant des Converses et dansant sur des musiques des Strokes. L’anachronisme est voulu et assumé par la réalisatrice, qui pose un regard contemporain sur un personnage historique. Son esthétisme exacerbé met en exergue la personnalité de celle devenue Reine à seulement quatorze ans. 

Si l’on peut émettre des réserves en allant voir un énième biopic au cinéma, c’est toutefois un genre qui peut permettre une liberté politique et artistique appréciable. Les personnalités traitées sont diverses et mettent en lumière des combats d’une époque. Lorsque le réalisateur réussit à s’affranchir de l’Histoire et à dépasser le mythe de la figure qu’il met en scène, le biopic devient intéressant et novateur. Je vous renvoie en cela à notre article sur le film Niki (Céline Sallette, 2024).

Lilia Penot

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