FICHE TECHNIQUE
Réalisation : Gilles Lellouche / Scénario : Gilles Lellouche, Audrey Diwan, Ahmed Hamidi, d’après l’œuvre de Neville Thompson / Production : Alain Attal, Hugo Sélignac, Direction de production : Vincent Piant / Maison de production : CHI-FOU-MI Productions, Trésor Films / Coproduction : France 2 production, Artémis Cinéma, Shelter Prod / Direction de la photographie : Laurent Tangy / Ingénierie du son : Cédric Deloche, Gwennolé Le Borgne, Jon Goc / Montage : Simon Jacquet / Costumes : Isabelle Pannetier / Décors : Jean-Philippe Moreaux / Maquillage : Myriam Hottois / Coiffure : Romain Marietti / Chorégraphie : Marine Brutti, Jonathan Debrouwer, Arthur Harel / Scripte : Julie Darfeuil
Année de sortie : 2024
Peut-on faire un article sur un film dont on n’a pas vu la fin ? Est-il possible, et est-il éthique, de critiquer une œuvre en étant sorti·e de la salle à sa moitié ? Il y a des bonnes choses dans L’Amour ouf, mais elles sont rares. Il y a de nombreuses très mauvaises choses, et un article ne sera jamais suffisant pour toutes les lister, même en n’ayant pas regardé la dernière heure du film.
C’est amusant, comme les films rêvés par leurs cinéastes depuis vingt ans sont intrinsèquement vieux et obsolètes (oui, c’est bien à Mégalopolis que je fais référence). Je comprends pourquoi L’Amour ouf attire : action et amour promis, pseudo qualité cinématographique revendiquée dans la promotion, mais aussi et surtout nombreuses personnalités à l’affiche, et de toutes générations. Le film réunit ainsi Mallory Wanecque, prix du Meilleur rendez-vous féminin au festival de Cabourg et nommée au César du meilleur espoir féminin en 2020, Adèle Exarchopoulos, François Civil, Rafaël Quenard, Jean-Pascal Zadi, Alain Chabat… pour ne citer que les acteur·ices principal·es.
Je comprends pourquoi une certaine génération, celle de Gilles Lellouche, aime le film. Il vit de la nostalgie qu’il construit. Il accorde une importance impressionnante (et excessive) à des contingences narratives mais emblèmes des années 80 : les flambis, les musiques (The Cure inlassablement et qu’importe si ça n’a rien à voir avec la scène), les costumes et coiffures exacerbés, les décors minutieusement reconstitués… Une attention indéniable à ces détails renvoie à une époque, et ceux et celles qui l’ont vécue apprécieront de la retrouver. Mais les souvenirs générationnels ne peuvent suffire à tenir un scénario si vide.
Pour combler cette pauvreté, le film accumule les fausses prouesses techniques, pastiche des scènes remarquables de films antérieurs sans vraiment les citer, offre du mauvais en le faisant passer pour du bon. L’Amour ouf est un vol. Pas un hommage. C’est un ersatz du camp1, sans la distance ironique qui en fait la force ; un simili des drames de Coppola et de Scorsese, sans leur complexité ; une caricature des films romantiques2, qui exclut et ridiculise leurs spectatrices2.
J’ai été en colère devant le film. Il n’est pas de mon habitude, loin de là, de quitter la salle avant la fin d’un film. J’ai été en colère car le film accumule les clichés, et qu’il plait. D’abord, quel sexisme ordinaire ! N’est-il pas suffisant, aujourd’hui, qu’un film qui exècre ses femmes soit exécré ? Le public ne devrait-il pas en être énervé, ne devrait-il pas cesser ses applaudissements lors du générique de fin ? Jackie naît du regard de Clotaire. Lui, débute le film, avec une scène de violence (absolument risible par ailleurs) interprétée par François Civil, adulte. Puis, le film le caractérise adolescent, dans sa maison et avec ses amis. Elle, apparait à la caméra ensuite. Adulte, interprétée par Adèle Exarchopoulos, elle fait une rapide apparition dans la première scène, en larmes au téléphone et mutique. On la retrouve, adolescente, dans le bus scolaire qui la dépose à l’entrée du lycée, où elle rencontre Clotaire.
La première rencontre est un topos cinématographique, un motif qui ne peut donc prendre sens qu’en se réinventant sans cesse. Ici Clotaire, bad boy de base, pitoyable, insulte tous élèves descendant du bus, les clashant sur leur physique. Mais ce grand romantique, cet amoureux éperdu, a la charmante obligeance de ne pas le faire à l’arrivée de Jackie tant il est subjugué par cette apparition muette et passive. Un homme qui crie, prend de la place, insulte, et une femme belle et silencieuse, voilà de l’innovation ! Il me serait trop long de lister toutes les scènes sexistes du film, cela reviendrait à décrire l’entière heure et demie à laquelle j’ai assistée. Quant au schéma fille / intelligente / classe sociale aisée versus garçon / perturbateur / violent mais avec un bon fond et qui s’assagit en présence de celle aimée / classe sociale défavorisée, il mériterait un dossier entier. Disons simplement que Jackie n’existe que par et pour Clotaire. Son surnom, ses discussions avec son père, ses études, sont soumis à son couple ; de fait, quand son couple cesse, sa vie aussi.
Les stéréotypes ne s’arrêtent pas au genre, ce serait trop beau, les classes sociales sont largement caricaturées aussi. La famille de Clotaire, pauvre et populaire, est violente, dysfonctionnelle, cas sociaux filmés avec mépris ; celle de Jackie, monoparentale, bienveillante et indulgente. Une perspective sociale est esquissée par le métier du père de Clotaire (joué par le magnifique Karim Leklou), ouvrier, mais il ne sert que la délinquance du fils et n’existe pour rien d’autre. L’envoi du frère en service militaire forcé, le renvoi du père de l’usine, ne sont que des anecdotes rythmant la narration mais disparaissant sitôt qu’elles ont été exploitées. Un film sans perspective sociale peut être bon, mais quitte à être détaché de la réalité, autant l’être entièrement et ne pas prétendre à des considérations jamais assouvies.
Il y a, enfin, une scène particulièrement raciste et dérangeante. Clotaire se rend chez un dealer avec son ami Lionel, noir. La Brosse, joué par Benoît Poelvoorde, l’appelle « bamboula » quand ils partent. Ce terme n’a aucun impact dans le film, n’est jamais dénoncé ; Lionel en semble à peine touché. Par contre, cette « blague » est raciste, et fait fuser les rires du public dans la salle. Il n’y a plus qu’à espérer que c’est l’absurdité cruelle du terme qui a provoqué une réaction nerveuse, et non une complicité avec cet humour questionnable.
Je reviens sur l’argument qu’on m’a le plus souvent opposé pour justifier d’apprécier le film : « pour du cinéma français, c’est spectaculaire ». Et ensuite ? Parce que nous sommes en France et non à Hollywood on pourrait, et devrait même, se contenter de médiocre ? Pourquoi une telle indulgence face à un film si irrespectueux, tant dans son fond que dans sa forme, du public et des femmes et personnes racisées ? Il y a des films français qui sont spectaculaires et qui sont exceptionnels d’intelligence et de qualité ; le dernier en date étant sûrement Le Règne animal (Thomas Cailley, 2023). Ils sont rares, certes, mais ce n’est pas une raison pour chercher et inventer de l’originalité et de la qualité dans des films tels que L’Amour ouf.
Je comprends qu’une certaine génération apprécie le film. Je le déplore mais tout est fait pour puisque L’Amour ouf cumule les sollicitations nostalgiques et une construction sociale et amoureuse que j’espère démodée. Je ne comprends pas qu’un public de ma tranche d’âge n’ait pas été dérangé par le traitement des personnages, ai pu en passer outre jusqu’à apprécier une telle œuvre, cinématographiquement médiocre par ailleurs. Je ne comprends pas et je suis partagée entre une curiosité d’entendre votre avis, vous qui avez aimé, et un refus, un rejet profond et presque physique, de tolérer une telle œuvre, qu’importe les arguments qu’on me donnera.
Alex Dechaune
1 Le camp est une esthétique difficile à définir mais qu’on peut vulgariser et résumer ainsi : exacerbation de l’artificiel, de la distance ironique et de la provocation de façon à y apporter un métadiscours, l’artiste retournant le ridicule pour le sublimer.
2 Rappelons que les films romantiques subissent déjà un dénigrement misogyne dans la culture intellectuelle et populaire. En tant qu’œuvres s’adressant à un public féminin, elles sont systématiquement (littéralement, c’est-à-dire par le système hétéropatriarcal qu’est le nôtre) dévalorisées. Lellouche, en y ajoutant ici de l’action et de la violence, accapare ce genre et espère, en y injectant des schèmes de films s’adressant à un public masculin, donner qualité et intérêt aux romances. C’est une entreprise condescendante et qu’il accomplit en ridiculisant les films romantiques, leur accordant un très maigre intérêt dans le film et une expression par des dialogues branlants.







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