FICHE TECHNIQUE
Réalisation et scénario : Grand Corps Malade et Mehdi Idir / Production : Eric et Nicolas Altmayer et Jean-Rachid Kallouche / Maison de production : Kallouche Cinéma et Mandarin Compagnie / Direction de la photographie : Brecht Goyvaerts / Ingénierie du son : Thomas Lascar et Isabelle Paquotte / Montage : Laure Gardette / Musique : Varda Kakon / Costumes : Isabelle Mathieu / Décors : Stéphane Rosenbaum
Acteurs : Tahar Rahim (Charles), Camille Moutawakil (Aïda), Gulia Avetisyan (Mélinée)…
Année de sortie : 2024
Encore un biopic. Lilia a eu raison de faire un dossier sur ce genre1 : il nous fallait au moins ça pour y voir clair dans la salve actuelle de sorties en salles de ces récits, et surtout pour se rappeler qu’on est en droit d’exiger quelque chose d’au minimum intéressant de la part des cinéastes qui font le choix de raconter une histoire déjà écrite.
Le problème de Monsieur Aznavour est simple, il saute aux yeux dès la première demi-heure : le film trouve son achèvement dans le simple fait d’exister. Chaque image est scrupuleusement creuse, aucune perspective ne s’ouvre derrière l’écran, vers un au-delà quelconque. D’où l’impression, qui ne nous lâche pas, de regarder la retranscription d’un livre d’anecdotes ; pire encore, on se dit souvent que le livre aurait été mieux, il ne nous aurait pas condamné·e à avaler d’affilée (pendant 2h et dans le noir) des dizaines d’anecdotes fades. De plus, le livre aurait permis d’économiser une bonne partie des 26 millions nécessaires à produire sa version illustrée.
La collaboration entre les deux réalisateurs (Mehdi Idir et Grand Corps Malade) et la maison de production Kallouche Cinéma n’est pas nouvelle, on trouvait déjà les mêmes noms accompagnés de quelques autres sur Patients (2016) et La Vie scolaire (2019). L’habitude reste la même, ne pas trancher dans le vif, surtout ne pas se risquer à explorer le sujet en profondeur ou à prendre parti, puisqu’on ne change pas une équipe qui fait match nul. Monsieur Aznavour ne déroge pas à la règle, et le fait de présenter un portrait du célèbre chanteur au cinéma semble reposer sur deux raisons : tout le monde aime vaguement Charles Aznavour et c’est une icône de la culture française « pas comme les autres ». En clair, il est assez comme les autres pour qu’on fasse un film à sa mémoire sans trop se mouiller, et assez « pas comme les autres », car binational Franco-Arménien n’ayant jamais caché son désir de gagner de l’argent en faisant de la musique, donc on peut faire semblant ici de s’engager.
Sauf que rien ne sort le film de son passéisme inoffensif. Je le rangerai dans la même catégorie que Mégalopolis et L’Amour ouf, qu’Alex2 évoquait dans son article en disant qu’ils sont en gestation depuis si longtemps dans l’esprit de leur créateur qu’ils sont immanquablement d’une autre époque. Ici, les 90 ans de vie d’Aznavour sont ce temps de gestation, et l’on doute fortement que la vie d’un homme star de la chanson française, né en 1924, soit d’une brûlante modernité 100 ans plus tard. A part pour jouer sur une nostalgie complaisante, s’assurer que Charles Aznavour aura son biopic parmi les autres grands, et empocher quelques euros au passage, qu’est-ce qui justifie ce film ? Rien de très artistique en tout cas.
Seule l’irruption de « What’s The Difference ? » de Dr. Dre dans la BO nous laisse penser qu’on voit plus loin que ça. Sensation étrange. La chanson apparaît dans le raccord immédiat avec l’enregistrement de « Parce que tu crois », pour donner lieu à une ellipse exaltant la réussite matérielle de Charles. Mais surtout, le raccord se fait extrêmement bien. On reconnaît immédiatement dans le titre de Dre le sample du morceau d’Aznavour. Éclair de génie qui nous invite à chercher chez ce dernier la paternité du personnage actuel de beaucoup de rappeurs, revendiquant ouvertement faire de l’art pour de l’argent3. A la différence près qu’il y a chez eux une forme de mise en abîme, lorsqu’Aznavour se contentait de chanter l’amour ou autres beaux sentiments et de capitaliser dessus.
Si tout le film avait suivi cette voie, s’il avait daigné soulever quelques questions à travers le parcours qu’a été celui de Charles Aznavour, il aurait pu être intéressant. Malheureusement il se contente d’affirmer, se limitant donc à rester oubliable de banalité. Il n’en restera que la taille du virement reçu par les artisans de sa création, une fois l’exploitation terminée.
Baptiste Hoarau
1 Etude du biopic : entre fidélité historique et innovation artistique – La Jetée
3 On peut penser ici à Ninho qui dans « Jefe », le single phare de l’album du même nom, place en interlude au milieu du morceau un extrait d’interview d’Aznavour dans lequel il réaffirme cette importance pour lui d’être payé correctement tout au long de sa carrière







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