La France sera lesbienne

Depuis la Rubrique :
3–5 minutes

Nous vous conseillons vivement d’avoir vu le(s) film(s) traité(s) par nos textes, afin de ne pas être spoilé·es et de mieux comprendre nos propos !

  1. Queen Size, Avril Besson, 2023
  2. Minuit sur MSN, Elise Levy, 2023
  3. Le Jaune du Ciel, Rachel Rudloff, 2023
  4. Stranger, Jehnny Beth et Iris Chassaigne, 2023
  5. L’Echappée, Siham Bell, 2023

Festival international du film lesbien et féministe de Paris, en non-mixité (ouvert exclusivement aux femmes et/ou lesbiennes), Cineffable présentait cette année trente-six films sur les deux-cents inscrits pour sa 36e édition. L’occasion de découvrir cinq courts-métrages recoupés sous le thème « La France sera lesbienne », puisque tous ont pour protagonistes des lesbiennes et sont réalisés par des cinéastes Françaises.

Queen Size, Avril Besson, 2023

La sélection débute par un court réjouissant. Marina (Raya Martigny) et Charlie (India Hair) se rencontrent lorsque l’une vend son matelas à l’autre. S’ensuit une déambulation loufoque dans Paris, propice à des dialogues finement écrits et indubitablement drôles. Cet humour omniprésent et léger n’entache pas la convocation de sujets plus lourds, de la transphobie au deuil d’un parent, sans qu’aucun ne soit prétexte à la victimisation.
Le scénario est la grande force du film. On apprécie le rythme et la fausse légèreté des dialogues, qu’illustre par exemple la scène dans laquelle Charlie, faisant une pause dans son périple, parle de sa grand-mère décédée avec un tel détachement que le public oscille entre malaise et rire franc. S’y ajoute une caractérisation fine et jamais caricaturale des deux femmes, par ailleurs brillamment interprétées.
Imparfaites, drôles et complémentaires, Marina et Charlie évoluent avec simplicité et nous font attendre avec impatience d’autres films d’Avril Besson.

Minuit sur MSN, Elise Levy, 2023

L’esthétique, oscillant entre colorimétrie doucement saturée et luminosité artificielle, n’est pas sans rappeler les pellicules de Riddle of Fire, autre film ayant pour protagonistes des adultes en devenir.
Dans son film de fin d’études produit par La Fémis, Elise Levy met en scène la relation ambiguë de Laura et Alix, amoureuses la nuit sur MSN mais s’évitant le jour à l’école.
C’est avec une grande tendresse que les deux filles sont filmées. La lesbophobie ordinaire, la pression des groupes, sont montrées avec autant de nuance que de finesse. Quant à la complexité de l’adolescence, elle est ancrée dans une époque à laquelle nous rapportent les décors et la bande son, entre posters d’Harry Potter et albums de Radiohead.
L’œuvre est sensible et convoque des sentiments universels ; ne pas avoir eu 15 ans en 2008 n’empêche pas de se projeter et d’être touché par cette histoire trop tôt finie.

Le Jaune du Ciel, Rachel Rudloff, 2023

Seul court expérimental de la sélection, Le Jaune du Ciel illustre par des plans superposés et un montage haché une réinterprétation de Colza d’Al Blayac. Le texte original, déjà admirable de beauté, est illustré avec poésie. Ainsi quand la ville est évoquée – “la ville voulait dire être lesbienne, être butch1” – elle se concrétise par des images d’une seule ville, Paris, sous différentes saisons, dans différents lieux, avec différents passants, mais dont le mouvement continu appelle la liberté et la possibilité d’être soi parmi les autres. A l’inverse, l’évocation de la campagne est accompagnée de plans paisibles, à l’attirance inéluctable. Sont mis en tension avec subtilité, dans un récit à la première personne, la possibilité d’être lesbienne dans un espace urbain, et une invincible attraction rurale.

Stranger, Jehnny Beth et Iris Chassaigne, 2023

Pendant 19 minutes, les deux actrices, qui sont aussi réalisatrices et scénaristes du film, interprètent A et J. A ne ressent plus rien, comme le métaphorise un stéthoscope cherchant vainement le son de battements de cœur sous la poitrine de A. La photographie, nocturne, pleine de reflets, sublimant les actrices et emplie de bruit ou de silence, apporte toute sa force au film. Elle ne compense cependant pas l’éclatement du récit et renforce au contraire l’impression d’être devant un long clip de promotion de Jenny Beth, autrice et interprète des chansons qui illustrent le récit.

L’Echappée, Siham Bell, 2023

Ce dernier film se déroule en Corse, un espace peu ouvert à la communauté LGBTQI+ et pourtant très peu abordé sous un prisme permettant de le dénoncer.
Siham Bell y enracine le parcours de Safia, fuyant le domicile familial après un coming­-out mal reçu par son père. Sur la route elle rencontre Jade et développe avec elle une relation nourrie d’amitié, de rejet et d’amour naissant. Dans le sillage d’autres road-movies lesbiens (Thelma et Louise en tête), L’Échappée se démarque par son intersectionnalité. Safia est lesbienne mais aussi arabe, dans une île qui n’accepte aucune de ces deux identités.
S’inspirant de sa propre vie, la réalisatrice conjugue un mouvement spatial descendant et une croissance intérieure. Safia descend la route depuis les hauteurs des Calanques jusqu’à atteindre, au lieu de souterrains infernaux, la mer, espace de liberté et de possibles. Non sans retours et difficultés, elle se construit et se découvre, jusqu’à devenir une héroïne indéniablement touchante. 

Alex Dechaune

1 Butch : lesbienne utilisant des codes de masculinité dans son apparence ou son comportement. 

Répondre à Rachel Rudloff, Elise Levy et Mica Albanese – Entretien croisé – La Jetée Annuler la réponse.

Intéressé·e ? N’hésite pas à découvrir nos publications récentes !