Gio Ventura

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Nous vous conseillons vivement d’avoir vu le(s) film(s) traité(s) par nos textes, afin de ne pas être spoilé·es et de mieux comprendre nos propos !

Gio Ventura est un acteur et réalisateur Français. Il clôt ses années à l’ENSAD avec son film de fin d’études Sports X-Trem, questionnant la bromance et l’homoérotisme des salles de musculation. Il interprète ensuite Billie Kohler dans le film Les Reines du Drame, réalisé par Alexis Langlois et sorti en salles le 27 novembre 2024. 

  1. Sports X-Trem, 2023
  2. Les Reines du Drame [LRDD], 2024
  3. Sur le cinéma

Sports X-Trem, 2023

Alex Dechaune : Tu es l’auteur du récent court-métrage Sports X-Trem. Qu’est ce qui te plait dans le fait de réaliser ? 

Gio Ventura : L’acting est mon subspace1. C’est un endroit agréable : on te dit quoi dire, on t’habille, tu es mené dans le projet de quelqu’un d’autre et tu n’y arrives qu’au tournage, ou à peine avant. Même s’il y a dialogue, tu pars de la vision de quelqu’un. Le réalisateur au contraire porte le projet de A à Z. Ce n’est pas un métier toujours facile. Avec Alexis [Langlois, ndlr] on a fait de longues répétitions avant le film [Les Reines du Drame, ndlr] et elle nous disait tout le temps « je suis votre filet de sauvetage, essayez et si vous vous plantez je vous rattrape ». Quand tu es réalisateur, il n’y a personne pour te rattraper. Il y a quelque chose d’un peu masochiste dans le fait de porter un film, d’y croire jusqu’au bout et d’amener tout le monde. Mais se pointer à des castings en attendant qu’on te choisisse l’est aussi : dès que tu sors de normes de race et de genre, tu sens que tu ne corresponds pas, et l’attente d’être casté est frustrante. Et il faut voir la pauvreté des rôles qu’on propose. Moi, de fait, même si mes potes queer me proposent des rôles de femme androgyne ou de mecs, je fais beaucoup de rôles de meufs pour gagner ma vie, et la pauvreté de leur personnage me désole. Autour de moi, beaucoup de gens font du cinéma car iels ne voient pas à l’écran ce qu’ils voudraient voir et il leur faut le faire exister. 

Alex : Sports X-Trem explore le milieu du culturisme. Pourquoi ce thème, et en quoi le cinéma peut-il en permettre une représentation intéressante ?

Gio : Avec les JO cette année, le sport est apparu partout, tout le monde l’a pris pour sujet. Dans une boulangerie devant laquelle je passais tout à l’heure, il y avait des croissants en forme d’haltères. Moi c’est un sujet qui m’intéresse depuis longtemps, car j’en fais depuis longtemps. Je traîne avec des sportifs et j’ai développé un intérêt esthétique et poétique pour le sport. Ça n’a pas toujours été un sujet facile à défendre parce que ce n’est pas immédiatement considéré comme intelligent, c’est aussi un problème pour la téléréalité par exemple. Sports X-Trem est né de ma rencontre avec une boxeuse avec laquelle j’ai eu une sorte d’histoire d’amour mais par le sport. Elle m’a initié à la boxe et, avant le bodybuilding, ça a été une autre manière de découvrir le corps de l’autre. Habituellement, on n’y a accès que dans le cadre d’une relation affective ou sexuelle. Autrement, il y a peu de moyens de toucher l’autre dans la société. Mais sur un ring, soudainement, tu as le droit de mettre ton point dans la gueule de quelqu’un, c’est très intense. C’est un milieu extrêmement homoérotique, même s’il y a de plus en plus de meufs qui font de la boxe maintenant. Dans le MMA2 je ne suis qu’avec des mecs qui font le double de ma taille, et ils passent leur temps à se faire des câlins, le visage en extase. Eux ne semblent pas s’en rendre compte, moi ça me fascine. La salle aussi est un milieu très masculin, même si ça tend à changer. C’est le seul endroit où tu vois les mecs se mirer dans la glace, se faire des clins d’œil, se tâter les muscles les uns les autres. Il y a comme un interdit qui tombe.

Alex : Dans le travail de conception du film, est-ce que ce sont les acteurs qui t’ont inspiré les personnages, ou au contraire tu avais déjà une idée de leur personnalité et tu as cherché des acteurs qui y correspondaient le mieux ? 

Gio : J’ai fait ce court-métrage dans une grande galère, économique notamment. J’ai vendu le scooter qu’on voit dans le film pour le financer. Les acteurs sont donc des amis qui étaient dispos. Pour autant, ils ne sont pas là par défaut, je les aime beaucoup et ils ont cru au projet, ils  ont voulu me soutenir. 

Alex : Sports X-Trem prend place dans un milieu très spécifique ; à mon échelle j’ai senti qu’il y avait des références que je ne saisissais pas. Penses-tu qu’il faille comprendre un film pour l’apprécier ?

Gio : J’ai du mal avec les films trop hermétiques et obscurs mais je pense qu’on peut faire des films cryptiques à certains endroits, à condition de laisser une porte d’entrée quelque part. Sinon ce n’est pas un objet qu’on partage.

Les Reines du Drame [LRDD], 2024

Alex : De plus en plus de films émergent de la contre-culture. Penses-tu qu’il est possible, et souhaitable, qu’elle s’intègre à une culture populaire ou de masse ? 

Gio : C’est une question difficile et qui me travaille beaucoup. D’un côté, il y a toujours la question de la représentation des queers. J’ai envie en tant qu’acteur d’avoir des rôles, et en tant que réalisateur d’exister, et en dehors de festivals queer aussi. D’un autre côté je ne suis pas sûr d’avoir envie que ça devienne mainstream. Il y a quelque chose d’excitant dans le fait de ne pas se conformer à une norme. S’intégrer ne devrait pas être l’objectif premier, ça peut être dangereux.

Alex : A Cannes était aussi présenté Emilia Perez, comédie musicale traitant d’un sujet queer avec ironie parfois. D’aucuns l’ont comparé aux RDD : l’as-tu vu et qu’en as-tu pensé ?

Gio : J’ai une histoire assez marrante avec ça. On a présenté LRDD au Festival du film de fesses à Bastille. A la sortie du film, un homme d’une cinquantaine d’années, dont on ne savait pas trop ce qu’il faisait là, nous a dit qu’il avait déjà vu exactement le même film, et on a compris plus tard qu’il parlait d’Emilia Perez. Le parallèle existe et la proximité de leurs sorties encourage les comparaisons, mais ce n‘est pas le même film. J’ai vu Emilia Perez la semaine dernière, je ne sais pas trop quoi en penser. A chaud c’est un film qui m’a fait plaisir, devant lequel je me suis marré. Il est surprenant à plein d’égards, il diffère de plein de films qui m’ennuient. Mais au générique il n’y avait que des noms français et, même si je situe Audiard dans la grande famille du cinéma français, je n’ai jamais vu d’autre film de lui. Je ne comprends pas de quel endroit il a fait un film sur une meuf trans qui se déroule au Mexique, sur ces sujets qui ne le concernent pas. Il y a un fossé intriguant. Ce qui m’a embêté surtout est qu’elle meure à la fin, comme toutes les femmes trans ever, et ce n’est pas vraiment justifié par l’histoire. Je ne suis même pas sûr que le film normalise la transidentité : Emilia est un personnage extraordinaire qui évolue dans une vision fantasmée du Mexique. Ce sont des biais qui éloignent du personnage et font le regarder comme un objet externe à soi. 

Alex : Qu’est-ce qui t’a attiré dans LRDD

Gio : Une amie m’a montré Les démons de Dorothy et De la terreur mes sœurs et j’ai adoré, surtout le premier. J’ai envoyé un message Facebook à Alexis et elle m’a répondu un message type de réponse à un fan, très bref. Je l’ai recroisée plus tard à Locarno et je suis allé la voir, on a un peu discuté à ce moment-là. Quand mon agent m’a envoyé sur le casting, elle m’a reconnu. C’est une des premières fois qu’on me proposait un rôle intéressant et complexe, où je n’avais pas l’impression de faire du méta acting, de jouer une actrice qui joue le rôle qu’on me donne . 

Alex : A quel accueil t’attends-tu ? 

Gio : Je pense que le film va être assez clivant. J’ai l’impression qu’il va plaire aux ados. Ça me rappelle tous les films que j’ai vus plus jeune et que j’ai adoré, comme Bound et But I’m a Cheerleader3. Je pense que ça pourrait être un de ces films pour ceux qui ont l’âge que j’avais à ce moment-là. Il a en plus la qualité de ne pas être boring, ce qui est le problème de beaucoup de films en ce moment. Le casting est assez intelligent à mon avis, avec nous deux [Louiza Aura et lui, ndlr], Bilal Hassani, Asia Argento, qui chacun ramène un certain public. Je pense que plein de gens vont au moins passer un bon moment devant le film. Il y a forcément aussi des personnes à qui ça ne va pas plaire mais on le sait depuis le début. Le film commence d’ailleurs avec Bilal qui dit « si vous êtes de droite sortez de la salle ». 

Sur le cinéma

Alex : Tu as étudié à l’ENSAD : penses-tu qu’on puisse apprendre à faire du cinéma ? 

Gio : Je pense qu’Alexis te dirait la même chose que moi : ce qui importe est de trouver un endroit où tu peux trouver des gens qui veulent faire la même chose que toi, avec qui tu peux t’allier quand tu n’as pas encore les moyens, le réseau et l’accès à du matériel. Je me suis servi de l’ENSAD comme d’un magasin de location de caméras. Je ne pense pas qu’il soit nécessaire de faire une école de cinéma, encore moins prestigieuse, pour faire du cinéma. J’ai été refusé deux fois à la Fémis. La première fois j’ai eu 18 à mon dossier, la deuxième fois 4. Quand j’ai demandé un retour, j’ai reçu une page A4 me disant que le cinéma n’était pas pour moi, qu’il fallait que j’arrête tout de suite. J’avais 20 ans, ça casse l’envie, ce sont des méthodes que je ne tolère pas. Le cinéma s’apprend mais en faisant, aussi bateau que cette phrase en ait l’air. 

Alex : Quel est le cinéma que tu aimes, que tu recommandes ? 

Gio : Je regarde beaucoup de films de mes ami·es, je m’intéresse à ce que font celleux de ma tranche d’âge. Je regarde beaucoup de courts-métrages ; c’est assez éclectique. En salles, j’ai aimé Dahomey de Mati Diop. Mais j’ai vu peu de films qui m’ont plu récemment, donc je vais faire un top 3 de mes films préférés à la place. Shakedown de Lela Wanab sur des stripteases dans les années 2000 à Atlanta, est un documentaire trop bien. Diamantino de Gabriela Bantes, parodie d’un footballeur, film malgré lui et le footballeur aussi. Hercule malgré lui, le premier film de Schwarzenegger, sur Hercule qui descend du mont Olympe et se mêle aux humains, avec un budget ridicule. Il est filmé entièrement dans un parc et il y a une scène légendaire de baston entre un ours échappé du zoo qui est en fait un gars déguisé. C’est une scène extrêmement sérieuse qui dure dix minutes et avec des gros plans sur les biceps de Schwarzenegger, un nanar comme on en fait plus. 

Alex : Quel est le cinéma que tu aimerais faire ? 

Gio : La comédie me semble être the highest form of art, c’est ce qui est le plus difficile à faire et le plus poignant quand c’est réussi. C’est une manière de parler de choses qui t’intéressent, j’ai du mal avec les films trop sérieux et sans recul sur leur sujet. 

Alex : Y a-t-il un film qui t’a fait aimer le cinéma ou donné envie d’en faire ? 

Gio : Je me suis tapé énormément de classiques quand j’étais ado parce que je croyais que c’était ça qu’il fallait faire, mais ça ne m’intéressait pas du tout. Quand j’ai commencé à me méfier de la Nouvelle Vague, des grands génies mâles du cinéma, mon désir du cinéma est né, de ce refus que ce soit ça le cinéma, d’une volonté de chercher autre chose. 

Alex : Y a-t-il une scène de film qui t’a particulièrement marquée ? 

Gio : Il y en a plein mais là il y en a une qui me vient, un peu cringe, dans le film de Laetitia Martel, La Nina Santa, sur l’éveil religieux et sexuel d’une jeune fille. En amont de la scène, pendant une séance de catéchisme, on dit à la fille que quand elle sera touchée par la grâce de Dieu elle le saura. On la retrouve plus tard dans une foule regarder un mec qui joue du thérémine, un instrument sans corde. Elle est fascinée et un frotteur vient contre elle et elle est illuminée, elle vit son éveil sexuel comme un éveil religieux. Après elle harcèle ce type et le film est trop bold, ça parle d’un truc interdit et cette agression n’est pas vécue comme telle. Si un mec avait fait ce film je n’en aurais pas parlé comme ça mais là c’est très courageux d’aborder ça ainsi, de se confronter à l’ambiguïté de cette chose. On manque de femmes qui s’emparent de sujets compliqués et en font un film beau et ouf comme ça. 

Alex : Quand tu regardes un film qu’est-ce que tu regardes, qu’est-ce qui détermine que tu l’apprécies ? 

Gio : Je suis biaisé parce qu’en tant qu’acteur ce sont les acteurs que je regarde. Je suis moins sensible à la forme, je regarde surtout les dialogues, le scénario, l’écrit, les acteurs… Tout ça m’importe  plus que la lumière ou la composition de l’image, qui sont appréciables quand même. 

Alex : Pourquoi ce nom, d’origine italienne ? Quel est ton rapport au cinéma italien ?

Gio : J’ai toujours été entouré de beaucoup d’italiens, mes ami·es l’étaient en grandissant et je vais dans ce pays tous les ans. Je l’aime beaucoup, même s’il est politiquement très cringe. Quand je voulais trouver un autre nom je regardais des listes de footballers et d’acteurs porno et je ne sais plus de l’un ou de l’autre d’où est venu Ventura. Giorgio c’est quand je faisais de la performance, je l’ai juste raccourci. Quant au cinéma italien je ne sais pas, surtout que politiquement c’est très dur d’en faire en ce moment. 

Alex : S’il y a des sujets que je n’ai pas abordé et dont tu voudrais parler, ils sont les bienvenus…

Gio : Je peux te parler de projets futurs. J’ai fait un film de diplôme que je suis en train de refaire sur des voisins vigilants qui s’observent. J’ai fabriqué des maquettes que j’ai pris en photo avec une technique de photogrammétrie. J’ai pris  plein de photos, je les ai mises dans un environnement 3D pour en faire des fonds, et à partir de là on a fait exister des acteurs filmés sur fond bleu dans une ville fictive très Suisse-coded où tout n’est que visibilité, tranquillité et surveillance. Je l’ai présenté en juin et ça allait avec les élections niveau timing. Je prépare aussi un film qui s’appelle Beau Mec, avec Asia Argento qui joue aussi dans LRDD, une adaptation libre et queer de Blanche-Neige et les sept nains, où les nains sont des stripteaseurs à la dérive et Blanche-Neige une espèce de Pascal la Grande Sœur qui est venue les recadrer, jouée par Asia Argento.
Je voudrais juste rajouter, par rapport aux RDD, que l’équipe de décoration a fait un travail remarquable. On les oublie trop souvent mais d’un jour à l’autre ils transformaient le studio et c’était impressionnant.

Alex : Combien de temps ces courts-métrages te prennent-ils à réaliser ?

Gio : Le premier très vite, en six mois. Je suis en train de le polir car je l’avais fini rapidement pour le présenter et je voudrais le finir bien. J’ai des ami·es très doué·es et avec qui j’ai déjà travaillé dans Sports X-Trem. C’est quelque chose de super important ça, pour Alexis aussi, qui s’est constituée une troupe de cinéma. Je prends modèle sur elle, il est important  de se constituer une équipe soudée, de construire un truc ensemble. Avoir des gens à ses côtés depuis toujours parmi les flics et robes à paillettes de Cannes, c’est trop beau. J’ai l’impression d’avoir un star radar et de chercher des ami·es qui ne font pas du tout de cinéma mais qui ont un talent caché et de les amener dans mes projets. Parfois c’est bancal,  mais parfois ça donne lieu à des trucs expérimentaux. 

Interview réalisée le 2 septembre 2024 par Alex Dechaune

1 « Subspace » ou « Sous-espace » est le terme donné à l’espace mental altéré et agréable que le partenaire soumis expérimente lors d’une scène BDSM.

2 Les arts martiaux mixtes, souvent désignés par le sigle anglais MMA pour mixed martial arts, sont un « sport de combat mêlant des techniques issues de la lutte, de la boxe et des arts martiaux, où les coups au sol sont permis et dont les rencontres se déroulent dans une cage octogonale grillagée appelée l’octogone. » (source : Larousse)

3 Bound (Lilly et Lana Wachowski, 1996) ; But I’m a Cheerleader (Jamie Rabbit, 1999).

POUR ALLER PLUS LOIN

Lisez notre article sur Les Reines du drame, par Alex Dechaune.

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