FICHE TECHNIQUE
Réalisation et scénario : Beatrice Minger, Christoph Schaub / Photographie : Ramon Giger / Montage : Gion-Reto Killias / Costumes : Sophie Reble / Maquillage : Marina Aebi / Musique : Peter Scheerer / Production : Philip Delaquis, Frank Matter
Interprétation : Natalie Radmall-Quirke (Eileen Gray), Axel Moustache (Jean Badovici), Charles Morillon (Le Corbusier)
Année de sortie : 2024
D’abord, il y a une maison. On entend la mer, on la voit à travers les fenêtres de la bâtisse blanche et bleue, on y plonge même. Le silence règne, c’est le calme qui s’empare de la salle de projection. Ce calme ne quittera jamais le film qui raconte l’histoire de la maison d’architecte E.1027, symbole de l’architecture moderniste des années folles. On découvre dans ce docu-fiction le parcours de sa création par Eileen Gray, avec l’aide de son compagnon Jean Badovici (dit Bado).
Le silence de l’eau, introduit par les premiers plans, imprègne par la suite la narration de Eileen Gray qui nous guide à travers le film. Une balade paisible nous transporte dans une véritable visite guidée de la vie de l’architecte. À Paris d’abord, là où commence l’histoire, elle raconte son amour pour Jessie Gavin, mais aussi ses débuts dans la capitale, avec la bonne qui lui tient compagnie. Elle raconte aussi sa rencontre avec Badovici et Le Corbusier, qui auront une place importante dans l’évolution de E.1027. Cette voix-off est plus qu’importante pour l’ambiance du film, elle permet de limiter les scènes de dialogue et de donner plus d’importance aux images qu’à la discussion.
On alterne entre deux espaces : celui du studio de création et celui de la maison. Comme le dit Eileen, le corps est une limite, au contraire de l’esprit. On a l’impression, grâce à la théâtralité, que le film s’affranchit des limites corporelles pour créer un espace spirituel, à l’image du studio dans lequel se rencontrent les trois personnages. C’est un lieu de liens entre eux plutôt qu’un lieu qui répondrait à un réalisme spatial ou temporel. Lorsque Bado écrit une lettre à Le Corbusier pour le prier, à la demande d’Eileen, d’enlever les fresques qu’il a peintes sans son accord sur les façades de la maison, celui-ci apparaît comme par magie pour répondre à cette lettre qui n’est pourtant pas encore envoyée. Il y a une réelle distorsion de l’espace-temps qui permet aux scènes d’être efficaces : le problème et sa résolution coexistent dans un même temps. Cet aménagement du temps et de l’espace est ici encore par des codes de l’espace théâtral.Cette théâtralité se retrouve dans tous les espaces, sauf dans E.1027. C’est la maison qui est le seul lieu ancré dans le réel. On comprend que c’est celui qui importe matériellement. Le studio s’oppose frontalement à la maison.
Toutefois, il ne s’agit pas de dire que le médium cinématographique est utile seulement lors des scènes dans E.1027. En effet, celui-ci n’est pas moins important dans le studio : il permet une immersion dans cet espace et dans la photographie de Ramon Giger qui ne laisse pas de place à la banalité. Tous les plans sont savamment construits, comme lors de la projection sur le visage d’Eileen de ses œuvres. Il y a une inversion des rapports de perception des deux médiums : le cinéma, bien que traditionnellement 2D, permet de voir en trois dimensions cet espaces, afin de ne rien rater de la scénographie. Il montre ainsi la profondeur de l’engagement d’Eileen dans ses créations. Sans livrer bataille, les médiums sont complémentaires.
Cette complémentarité donne à voir ce qui pour moi est le réel sujet du film : la place de la femme dans l’art. Alors qu’Eileen est le véritable cerveau de la création de la maison, c’est finalement Le Corbusier qui se l’approprie et qui en tirera tous les mérites. Le nom d’une rue lui sera même dédiée. Contrairement à The price of Desire (2015) qui traite aussi de E.1027. Le film ne se consacre pas à la romance entre Eileen et Bado, mais bien à la personne qu’a été Eileen et à son influence dans l’architecture moderne.
Maxime-Lou







Réponds et partage anonymement ton point de vue sur la question ! Peut-être que l’auteurice te répondra…