FICHE TECHNIQUE
Réalisation : Leonardo Van Dijl / Scénario : Leonardo Van Dijl, Ruth Becquart / Photographie : Nicolas Karakatsanis / Montage : Bert Jacobs /Musique : Caroline Shaw / Décors : Julien Denis, Quentin Warzée / Production : Gilles Coulier, Gilles De Schryver, Wouter Sap, Roxanne Sarkozi, Delphine Tomson / Sociétés de production : De wereldvrede, Les Films du Fleuve, Hobab, Film i väst, Blue Morning Pictures
Interprétation : Tessa Van den Broeck / Ruth Becquart / Koen De Bouw
Date de sortie : 29 janvier 2025
Il est difficile de supporter le silence. Difficile de ne pas essayer de le meubler, de ne pas ajouter une musique épique ou déprimante pour donner du cachet à telle scène, pour la différencier du reste. Comme on ne supporte pas le silence dans la vraie vie, ou alors à petite dose, au cinéma c’est un risque : le risque de perdre le·a spectateur·ice, de ne pas lui donner assez de matériel. Julie se tait prend ce risque : on voit la jeune fille s’entraîner au tennis dans des plans fixes. Lorsque la caméra bouge, c’est pour accompagner son mouvement, de manière très mécanique. Mécanique, c’est le mot : Julie se tait nous donne à voir ces moments où le corps devient une machine, quand la réalité nous dépasse et que l’on ne sait plus comment s’en sortir.
Seulement voilà, on observe tout cela de l’extérieur. Les personnages ne nous accompagnent pas, les dialogues sont très elliptiques, les cadres sont choisis minutieusement pour ne pas nous en donner trop, pour laisser planer le mystère. L’ambiance est lourde, puisque l’on comprend très vite ce qu’il se passe. À l’inverse de Whiplash (Damien Chazelle, 2014) on ne voit que très peu l’entraîneur à l’écran, sa présence est fantomatique : il hante les lieux et n’a pas besoin d’être là pour exercer son influence sur ses anciens élèves. Ses mots résonnent encore dans les murs, les rapports entretenus avec ses élèves subsistent sans qu’il ait besoin d’être avec elleux dans le gymnase. Sa voix passe par d’autres corps, elle est relayée parmi les jeunes adolescents et par Julie elle-même. Dans Whiplash la violence éclate à l’écran, cris et sang jaillissent durant les répétitions. Pendant les entraînements de Tennis elle est symbolique, invisible mais pesante. L’action s’ouvre sur la mise en arrêt de Jeremy après le suicide d’Aline, une ancienne élève, sans que plus d’informations ne soient données. Les élèves sont censés s’entretenir un à un avec la directrice de l’école de Tennis pour mettre les choses au clair. Cela tombe très mal pour Julie qui prépare une compétition décisive pour sa carrière, comme Aline avant elle.
On entend trois fois la voix de Jeremy. Une première fois au téléphone, appel glaçant où il tente d’isoler Julie de tout son entourage masculin, et où il la harcèle de conseils sur son jeu. Une deuxième fois dans un restaurant, elle tente de le confronter sur Aline et il s’énerve. Il s’emporte, le ton monte : “Aline c’était pas toi et c’était ça son drame, et quand elle l’a compris, elle a arrêté”. Technique de manipulation émotionnelle classique : glorifier pour mieux retenir, pour mieux affirmer son emprise. Le verbe arrêter prend un autre sens lorsque, toujours à la même table, il tente de la toucher. Alors elle recule, elle se détache et il s’exclame : “Quand tu m’as demandé j’ai arrêté”. Ces mots, assénés à répétition, comme une justification, comme si cela excusait tout, ces mots ne veulent rien dire. Ils ne renvoient à rien de concret, ils sont vides de conviction ou même de sens. Cette phrase revient à la dernière scène, sans crier gare, alors que Julie semblait se détacher de l’emprise de Jéremy. Elle joue un enregistrement de lui et c’est la dernière fois qu’on l’entend. Le récit se clôt sur cette voix, cet enregistrement dont on avait pas connaissance, qui dit tout sans rien dévoiler. La séance est finie : le mystère reste entier mais l’on sait que quelque chose de grave s’est passé, et cela suffit.
Il n’y a pas besoin de beaucoup de preuves pour écouter les victimes, juste de les écouter, de ressentir leur détresse, de les accompagner. Tout cela pour, peut-être, dépasser le silence.
SO







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