La Pampa

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4–6 minutes

Nous vous conseillons vivement d’avoir vu le(s) film(s) traité(s) par nos textes, afin de ne pas être spoilé·es et de mieux comprendre nos propos !

FICHE TECHNIQUE

Réalisation : Antoine Chevrollier / Scénario : Bérénice Bocquillon, Antoine Chevrollier et Faïza Guène / Soundtrack : Sacha Galperine et Evgueni Galperine / Photographie : Benjamin Roux / Montage : Lilian Corbeille / Son : Charlotte Butrak, Martin Boissau et Emmanuel Croset / Production : Nicolas Blanc et Julie Rhône / Société de production : Agat Films et Cie

Interprétation : Sayyid El Alami, Amaury Foucher, Damien Bonnard

Date de sortie : 5 février 2025

Les mots me manquent pour décrire mon sentiment, en sortant de la salle. Arrivé·e chez moi je me suis demandé : est-ce que j’ai besoin de digérer pour mieux apprécier ma séance, me dire que c’était un grand film ? La réponse est non. Peut-être que je n’étais pas le public, peut-être que j’ai raté quelque chose, mais je n’ai pas aimé La Pampa

Willie (Sayyid El Alami) et Jojo (Amaury Foucher), deux adolescents, sont meilleurs amis et préparent ensemble une compétition de motocross, sous les yeux du père de Jojo (Damien Bonnard) et du coach Teddy (Arthus). Alors que nous naviguons dans les dynamiques familiales et amoureuses de Willie, ce dernier apprend que Jojo couche avec Teddy, de plus de 20 ans son aîné (à vue d’œil, puisque son âge n’est jamais clarifié). L’homme adulte est pourtant marié et attend un enfant : il explique à Jojo que sa femme lui fait du chantage affectif et qu’il ne peut pas la quitter. Un soir, elle les surprend en train de coucher ensemble, et l’enfer commence. 

À ce moment-là, je me raidis dans mon siège. Toute l’expérience de l’homosexualité est réduite à un amas de violence : lorsque Willie voit Jojo et Teddy baiser ensemble, le coach plaque Willie contre le mur en lui criant de fermer sa gueule, puis il se retourne vers Jojo pour lui dire de fermer sa gueule aussi, menaçant de les tuer. Après que la femme de Teddy les ait surpris, une vidéo de fellation donnée par Jojo est postée sur un groupe whatsapp (vidéo que l’on voit d’ailleurs à l’écran, suivi du flot d’insultes homophobes proférées par leur entourage, ce dont je me serais passé·e). La moto de Jojo est aussi recouverte d’injures ce qui conduit son père à  la brûler en traitant son fils de tous les noms. Le mot de trop pour moi, ç’a été la mère de la victime qui lui dit : “comment t’as pu faire ça à ton père ?”. 

Et quand je pensais que cela ne pouvait pas être pire, La Pampa m’a montré que si, si. Déjà, Teddy désavoue totalement Jojo et refuse de s’en aller du village avec lui. Alors Jojo rentre chez lui, prend un pistolet, et se tue, après avoir réveillé son père pour lui demander “Pardon”. Tout cela devant nos yeux. Je sais que ce qui se passe à l’écran n’est pas vrai, mais à ce moment-là je rallume mon portable, j’envoie un message à des amies pour leur dire que je ne veux pas rentrer chez moi tout seul, que j’ai besoin de les voir. 

Je ne suis pas forcément quelqu’un de rebuté·e par le drame, j’aime aller au cinéma pour pleurer un bon coup. Mais dans ce cas précis, l’engrenage des violences est enclenché à une vitesse folle, sans que le·a spectateur·ice ne soit protégé·e.. On suit le point de vue de Willie et on reste très extérieur·e à la situation de détresse de Jojo. Déjà aucun TW n’est donné par l’équipe, ce que je trouve dommageable pour un sujet aussi sensible et encore malheureusement trop actuel. À aucun moment on ne voit Jojo être réellement heureux, même dans sa relation cachée avec Teddy. Sa sexualité n’est représentée que comme une fatalité, lui comme un héros tragique dont on reste très éloigné. En fait, on en vient à ressentir de la compassion pour le meilleur ami hétérosexuel du mec gay qui s’est suicidé, et ça me dérange. Que le film veuille perturber, choquer son public, c’est une chose, mais ici j’ai l’impression qu’il y a comme un entre-deux et que la mort de Jojo est tout simplement représentée comme un dommage collatéral, l’événement qu’il fallait à Willie pour partir. Ça me dérange, parce que j’ai l’impression qu’on représente nos histoires comme des histoires qui se finissent toujours mal, et que par cette habitude on en vient à oublier de montrer l’essentiel : notre existence1

La Pampa représente tout de même de beaux moments de solidarité entre Willie et Jojo et entre Willie et sa sœur, moments qui ont été mes baumes au cœur pendant la séance. Mais à part ça : violence, violence, violence. 

Après son suicide, le père de Jojo ne se remet quasiment pas en question et demande à Willie de continuer la compétition à la place de son fils mort. C’est une manière assez surprenante de gérer le deuil, et j’ai cru comprendre que le film explore ainsi le réflexe d’enfermement inhérent à la perte d’un proche, ainsi que la tendance à reproduire les anciens comportements qu’on avait avec lui pour pallier l’absence. Néanmoins, j’ai eu du mal à digérer les signes de tendresse envers Willie, absents de la relation père-fils malsaine qu’il partageait avec Jojo. Heureusement, Willie arrête assez vite de consentir à ce remplacement macabre. 

Willie survit. Pas Jojo. Willie refait sa vie. Pas Jojo. Ces destins croisés m’ont laissé un goût amer sur la langue. Peut-être que La Pampa pourra révéler à des personnes totalement déconnecté·es de la réalité ce qu’est l’homophobie et qu’il sera utile. Moi, j’ai été heurté·e, j’ai été ramené·e à mes peurs, mes angoisses, sans que jamais le film ne prenne le soin de me rassurer. Je ne dis pas que tous les films doivent exprimer un espoir, une joie fulgurante, mais ici entre violence exacerbée et manque de considération pour Jojo, je me suis senti·e très seul·e.

Merci à mes amies d’avoir été là à la fin de la séance. 

So

  1. Pour une autre critique sur le sujet, lire l’article sur Tout ira bien, un film qui retourne la fâcheuse habitude des cinéastes à tuer les personnages queer ↩︎

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