Un Monde

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4–5 minutes

Nous vous conseillons vivement d’avoir vu le(s) film(s) traité(s) par nos textes, afin de ne pas être spoilé·es et de mieux comprendre nos propos !

FICHE TECHNIQUE

Réalisation et scénario : Laura Wandel / Production : Stéphane Lhoest / Direction de production : Claudia Navarra / Production associée : Philippe Logie / Coproduction : Jan De Clercq, Annemie Degryse /  Direction de la photographie : Frédéric Noirhomme / Direction du casting : Doriane Flamand / Assistant réalisatrice : Jean-François Ravagnan / Ingénierie du son : Thomas Grimm-Landsberg / Montage : Nicolas Rumpl / Montage son : David Vranken / Mixage : Mathieu Cox / Décors : Philippe Bertin / Coiffure et maquillage : Katja Piepenstock / Costumes : Vanessa Evrard / Régie : Vincent Bredael / Scripte : Elise Van Durme / Supervision post-production : Céline Grudniewski

Sociétés de production : Dragons Films / Société de distribution : Tandem, Indie Sales / Sociétés de coproduction : Lunanime, Voo-BE TV, Centre du Cinéma et de L’Audiovisuel De La Fédération Wallonie

Interprétation : Maya Vanderbeque, Günter Duret, Karim Leklou, Laura Verlinden…

Année de sortie : 2022

C’est un soupir de soulagement de la part des spectateur·ices qui clôt la projection. Le sujet, il faut dire, n’est pas simple ; et tout le film entreprend de nous faire vivre avec les personnages l’angoisse et l’oppression du harcèlement scolaire. Par le décor d’abord ; il joue dans la mise en scène et l’atmosphère un rôle majeur, permettant au tout d’osciller entre un réalisme cru et un subjectivisme sensible. Par lui, la singularité de la diégèse est dépassée, par lui le harcèlement scolaire n’est plus seulement celui d’Abel mais il est celui, réel, de tant d’enfants pris dans les engrenages d’un système scolaire défaillant. Dans ce huis-clos décliné en trois facettes (la cour, la salle de classe, le gymnase), ce dont Nora est  témoin dépasse largement ces lieux. Le regard de la sœur d’Abel guide celui du·de la spectateur·ice. L’école devient Ecole, le particulier devient universel. La fiction, l’irréel, l’exclusivement imaginatif, illustre une situation réelle, vécue.

L’école impose son caractère oppressif, entourant de grilles les personnages. Surtout, elle se fait entendre : sa présence sonore est encore plus importante que son existence visuelle. Lors du premier jour de la protagoniste, étouffé·es par le brouhaha de la cour de récréation, Nora et le·a spectateur·ice sont pris·es d’une même hyperacousie1. « Il n’y a rien de plus assourdissant qu’une cour de récréation, et ce bruit est aussi une forme de  violence », affirme Laura Wandel dans un entretien donné à l’AFCAE2. Pour la réalisatrice, l’intégration est une conquête de l’autre, conquête qui passe par une occupation de l’espace sonore. Ainsi Nora, plongée d’abord dans un mutisme timide, s’intègre progressivement dans cette cacophonie, y participe à mesure qu’elle en est incluse socialement. Le son devient marqueur de distinction sociale : il renvoie à la parole, opposant celui qui y a accès à celui qui en est privé. L’absence totale de musique achève de rendre l’expérience du public semblable à celle des enfants.  

La vue que les enfants portent sur les choses et l’interprétation qu’ils en font passent par la médiation de leur taille et de leur âge. L’effet d’immersion est intensifié par le jeu de placement de la caméra, toujours à hauteur de celleux qui vivent l’intrigue. Frédéric Norhomme, qui capture l’image, n’opère jamais de contre-plongée : c’est à l’adulte de se mettre à la hauteur de Nora ou d’Abel.

Les  histoires de récréation sont ainsi rapportées dans leur authenticité, sans  jugement. Elles paraissent d’abord irrationnelles aux spectateur·ices, tant elles sont nourries de fantasmes et d’improbables. Nora, dans le bac à sable avec deux amies, entend l’une d’elle affirmer que des morts y sont enterrés. On sourirait presque, en voyant leur terreur face à ce conte cauchemardesque et nécessairement fictif. Pourtant cette parole prend sens dans la scène finale. Abel agresse Ismaël, plonge un sac plastique sur sa tête, le prive de respiration, manque de le tuer, et entreprend de l’étouffer sur ce même bac à sable dont on nous avait averti·e de la dangerosité. 

Mais le travail du son, remarquable, ne se substitue pas à celui de l’image. C’est en effet par ses couleurs que le film échappe au manichéisme. Les costumes notamment, conçus par Vanessa Evrard, brouillent la frontière entre victimes et coupables. Le bleu, associé au clan des harceleur·euses, voit sa symbolique enrichie par sa capacité à être décliné, nuancé, remplacé. Abel, pourtant principale victime, le revêt ainsi, tout comme ses principaux bourreaux. Ses yeux azur rappellent ce potentiel basculement : la seule raison pour laquelle il n’est pas coupable est son statut, subi, de victime. Nora, vêtue d’un jaune qu’on associe d’abord à l’innocence, cache cette couleur solaire d’un blouson bleu qu’elle nie son adelphie3 avec Abel pour mieux s’intégrer. Un dernier personnage porte ce bleu du coupable : l’école elle-même, lieu devenu agissant, car participant à ces mécanismes de domination et d’intimidation. 

« Parfois, on sait pas quoi faire » résume Madame Agnès à Nora.  

Alex Dechaune

Normalienne étudiante à l’ENS PSL et mastérienne de cinéma, je suis acclimatée à un regard universitaire sur les films. J’étudie en particulier le silence au cinéma, j’ai donc été sensible au travail sonore mis en œuvre dans Un monde. J’ai écrit cet article en janvier 2022, au moment de la sortie du film, dans le cadre d’un travail scolaire, et l’ai repris avant de le  publier sur La Jetée.

  1. L’hyperacousie est une « exaltation anormale de l’acuité auditive, s’accompagnant d’une sensation pénible, voire douloureuse » (source : cnrtl.fr).  ↩︎
  2. Association française des cinémas d’art et d’essai. ↩︎
  3. L’adelphie est un « ensemble formé par les enfants (frères et sœurs) issus d’une même famille » (source : lalanguefrancaise.com) ↩︎

Pour aller plus loin : La Convocation

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