Aurélien Peyre

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Nous vous conseillons vivement d’avoir vu le(s) film(s) traité(s) par nos textes, afin de ne pas être spoilé·es et de mieux comprendre nos propos !

Aurélien Peyre est réalisateur et scénariste. L’Épreuve du feu est son premier long-métrage et succède aux moyen-métrages Coqueluche (2018) et La Bande à Juliette (2016).

Alex Dechaune : Ce qui marque d’abord, dans L’Épreuve du feu, ce sont les personnages. Ils sont très subtils et humains – bien que ces mots soient un peu fourre-tout -, et je me demandais s’ils avaient été essentiels dans ton écriture ? Aussi, en tant que spectateur, est-ce les personnages qui déterminent ton appréciation d’un film ? 

Aurélien Peyre : En tant que réalisateur et scénariste, il était important pour moi que les personnages soient le plus réalistes possible. Comme c’est un film qui repose beaucoup sur les rapports entre différents individus, je voulais qu’on comprenne leurs motivations. Dans le début du film, je joue sur les clichés : Queen apparaît comme une bimbo et je pense que certain.es spectateur.ices l’imaginaient superficielle ; Hugo semble très timide et naïf… En face, il y a la bande des bourgeois.es, avec le personnage de Victoire notamment, à l’air un peu versaillais et classique et avec une médaille religieuse autour de son cou. Je voulais partir de ces clichés pour m’en éloigner ensuite, et que le.a spectateur.ice puisse juger el.lui-même les personnages, affiner le trait progressivement. J’avais à cœur que les enjeux soient réalistes, que le scénario découle des désirs des personnages et non que ces derniers agissent pour le scénario. Ça arrive parfois, et c’est quelque chose qui m’agace en tant que spectateur. Ça m’énerve de ne pas comprendre un personnage – et je peux comprendre des gens très différents de moi – mais je n’aime pas sentir qu’un personnage a été écrit juste pour donner lieu à une scène qu’un.e réalisateur.ice avait envie de filmer. J’aime qu’il y ait une certaine crédibilité. Cela dit, j’adore le cinéma de genre et les films d’horreur, dans lesquels les personnages ne sont pas toujours crédibles. Mais ce qui me prend dans un film, c’est toujours le personnage et le.a comédien.ne, et qu’ielles m’emmènent vers une émotion. 

A. D. : C’est aussi le cas pour les personnages secondaires ? Ils sont très travaillés dans L’Épreuve du feu, était-ce une volonté ou c’est une conséquence qui a découlé naturellement de l’histoire ? 

A. P. : Les personnages secondaires sont des physionomies que j’aurais pu croiser, même si aucun des personnages n’est directement inspiré de quelqu’un que je connais. J’ai fait un moyen-métrage avec le même point de départ que L’Épreuve du feu, mais les personnages y étaient beaucoup plus manichéens. C’est aussi pour ça que j’ai voulu le refaire en long, pour affiner le trait.

A. D. : J’imagine que tu parles de Coqueluche. Est-ce toi qui voulais en faire un long ? N’avais-tu pas peur d’une certaine lassitude, à reprendre un sujet que tu avais déjà traité il y a plusieurs années ? 

A. P. : Au contraire ! Coqueluche est sorti en 2018, et j’ai ensuite développé d’autres projets de premier long-métrage, qui n’avaient rien à voir avec ce moyen-métrage. Mais en le revoyant 6 ans plus tard, je lui ai trouvé pas mal de défauts. Je m’en suis voulu d’avoir pris certaines directions d’écriture, d’acteur.ices, de mise en scène. De fil en aiguille, ça m’a donné envie de le refaire. C’était par perfectionnisme, parce que je n’étais pas complètement satisfait de ce film, même s’il avait eu de bons retours. Dans L’Épreuve du feu, c’est donc le même point de départ. Mais, même si certaines choses se recoupent, ce ne sont pas les mêmes personnages ni la même intrigue. Queen et Hugo (L’Épreuve du feu) sont très différents de Laurine et d’Olivier (Coqueluche). Je les ai vraiment appréhendés comme deux films différents. 

A. D. : Tes insatisfactions par rapport à Coqueluche, les ressentais-tu déjà à la sortie du film, ou te sont-elles venues avec le temps et une certaine forme de maturité ? 

A. P. : Un peu des deux. Je n’étais pas entièrement satisfait du film quand on le projetait, mais je n’arrivais pas à mettre le doigt sur ce qui ne m’allait pas. C’est en le revoyant plusieurs années plus tard que j’ai pu identifier les problèmes. Et je n’avais plus les mêmes désirs de cinéma, je ne voulais plus faire la même chose. 

A. D. : Dans Trois Couleurs tu qualifies L’Épreuve du feu de “plus réaliste” que Coqueluche. Le naturalisme faisait-il partie des changements qu’il t’importait d’apporter ? 

A. P. : Dans Coqueluche, la réalisation était très référencée à des films, et notamment à ceux de Frank Tashlin. Ce réalisateur des années 1960 a tourné des films avec une dimension très cartoon avec Jayne Mansfield, une sorte de sous-Marilyn Monroe ; ou des mélos en technicolor avec Douglas Sirk. Mais je trouve que ça abîmait l’histoire, de lui donner un écrin trop pop. Aussi, je n’avais pas pris la mesure des enjeux qu’on pouvait traiter dans l’intrigue, notamment ceux de classes sociales. 

A. D. : Tu parlais des comédien.nes tout à l’heure. Le personnage d’Hugo est interprété par Félix Lefebvre, qu’on a déjà vu dans Eté 85 ou Rien à perdre. L’avais-tu déjà en tête au moment de l’écriture ? Pendant le tournage, le casting a-t-il eu une influence sur les personnages ? 

A. P. : Quand j’ai commencé l’écriture de L’Épreuve du feu, le personnage d’Hugo se nommait Olivier, comme dans Coqueluche. Mais je visualisais trop le comédien de Coqueluche et je n’arrivais pas à écrire un personnage différent. Je peinais à trouver un autre nom puis j’ai vu par hasard Eté 85 et j’ai beaucoup aimé le personnage de Félix dans ce film. J’ai donc donné son nom au personnage. Il a ensuite passé le casting et a été retenu parmi les autres comédiens. Comme ça le dérangeait que le personnage porte le même prénom que lui, on a changé le prénom. Félix et Anja [Verderosa, ndr.] ont influencé leurs personnages, même si je ne saurais pas dire exactement comment, mais rien qui a changé la trame narrative. Ils ont été casté.es plus tôt que les autres et, les trois mois qui ont précédé le tournage, on se voyait deux fois par semaine pour discuter de l’histoire et de leurs personnages. Sur le tournage, il y a eu peu d’impro, mais les comédiens pouvaient reformuler avec les phrases avec leurs mots à eux. J’ai 33 ans et les personnages en ont entre 19 et 23 ; les comédien.nes correspondaient davantage à cette tranche d’âge. Je voulais que ce soit réaliste aussi en termes de génération. 

A. D. : Comment s’est fait le choix de suivre l’histoire du point de vue d’Hugo, qui est sorti de cette marge ?

A. P. : C’est le personnage le plus mouvant du film, qui passe par le plus d’étapes. Je trouvais intéressant de raconter l’histoire non pas du point de vue de celle qui subit le mépris de classe, mais d’une sorte de victime collatérale. Par ailleurs, il y a déjà des films racontés du point de vue d’un personnage comme Queen, et c’est aussi le parti que j’avais pris dans Coqueluche. Là, ça m’intéressait d’être dans le point de vue d’Hugo. C’est de lui que découle le malaise, et je voulais un film malaisant, transmettre cet état aux spectateur.ices.

A. D. : La réception critique de L’Épreuve du feu le référence beaucoup. Trois Couleurs cite Piraterie (Rozier), Le Masque et la Plume, La Dentellière et Euphoria… As-tu écrit le film dans une volonté de l’inscrire dans une tradition cinéphilique ? Auquel cas, quelles références t’ont guidées dans l’écriture ? 

A. P. : Diamant Brut m’a aussi beaucoup été cité. Mais je ne me suis pas vraiment inspiré de films pour L’Épreuve du feu. J’ai été marqué à sa sortie par la comédie Pas son genre, avec Emilie Dequenne. C’est très bien écrit, ça raconte l’histoire d’un prof de fac muté à Arras, et qui a une histoire avec une coiffeuse qu’il y rencontre. Mon film traite des mêmes enjeux et j’ai sans doute été influencé. Il y a peut-être aussi Du Côté d’Orouët, qui est un de mes films phare et celui qui m’a donné envie de faire du cinéma. Je l’ai toujours en tête, mais il n’a rien à voir avec L’Épreuve du feu, qui est très narratif. Leurs seules comparaisons sont peut-être les rapports de groupe, et la Vendée. 

A. D. : Tu ancres en effet le film à Noirmoutier. L’île prend une véritable identité à l’écran. Était-ce important pour toi d’ancrer le film dans un lieu, et particulièrement dans celui-ci ? 

A. P. : Ce qui me plaisait avec cette idée d’île, c’était qu’il soit compliqué à la fois de la rejoindre et de la quitter. C’est presque une métaphore de la classe sociale, dont il est difficile d’en changer, dans un sens comme dans l’autre. On voit ainsi que Queen n’est pas acceptée sur l’île, car elle n’a pas les mêmes codes que ses habitant.es. A l’inverse, Victoire est attirée par les codes de Queen et essaye de les intégrer, en se faisant poser des faux ongles par exemple. Mais très vite, le regard des autres l’arrête. Je voulais effectivement aussi construire des endroits assez précis. Il y a la maison d’Hugo, une petite bulle entre les arbres. Il y a aussi la plage, dans laquelle un personnage ramasse des déchets en les attribuant avec mépris à des “beaufs” qui étaient présents la journée. C’est comme si l’île leur appartenait plutôt qu’aux touristes ; elle est aussi un lieu d’entre-soi. C’est pour ça aussi que la maison des ami.es de la bande surplomble les plages, et le catamaran est une sorte d’île dans l’île. 

A. D. : J’ai été marquée par la scène dans laquelle Queen énerve Hugo, avant que ce dernier ne rejoigne le catamaran justement. Le caractère agaçant de Queen passe beaucoup par le bruit qu’elle fait dans ses gestes quotidiens. Souvent, le travail du son intervient surtout en post-production, et son potentiel n’est pas réfléchi plus tôt. L’as-tu intégré à ton travail dès l’écriture ?

A. P. : Je l’avais réfléchi, mais peut-être moins que d’autres aspects. Il m’importait avant tout que Queen soit bruyante, ce que j’ai demandé aussi à la cheffe costumière et à l’accessoiriste. Je voulais que ses bruits soient charmants jusqu’à un certain point, jusqu’à ce qu’ils agacent Hugo, dans cette scène justement. Même si c’était prévu au tournage, c’est au mixage qu’on a donné forme à cela. 

A. D. : Tu as fait l’ESEC. Comment as-tu appréhendé l’école de cinéma ? Qu’y as-tu appris ? 

A. P. : J’y ai découvert plein de films, que m’ont fait découvrir d’excellents profs, hors des classiques dont j’avais du mal à me détacher alors. ça m’a ouvert un champ des possibles. J’ai aussi appris à organiser un tournage, ce qui m’a permis de faire mon premier moyen-métrage à la sortie de l’école sans production. Enfin, j’y ai rencontré des ami.es, avec qui je travaille désormais. Je pense qu’on peut faire sans école, mais là-bas on se fait un réseau surtout. 

A. D. : Une scène de cinéma t’a-t-elle marquée plus que les autres ? 

A. P. : J’ai déjà parlé de Du Côté d’Orouët, et une scène de ce film m’a beaucoup marquée en effet. Le comédien, Bernard Ménez, arrive avec un seau d’anguilles et le renverse, les anguilles se répandent au sol et les comédiennes, terrifiées, crient. Ménez regarde alors la caméra pour savoir s’ il doit continuer. C’est une scène que j’essaye de garder en tête quand je fais mes films. Je ne dis pas qu’il faut terroriser les comédiennes avec des poissons, mais j’aime cette part d’improvisation sur le tournage. Les modes de productions actuelles, surtout pour les films à petits budgets, obligent à aller vite pour ne pas perdre d’argent et ça complique la possibilité d’impro, mais j’aime garder ça en tête. Dans L’Épreuve du feu, une comédienne chante sur le bateau et cette scène a été improvisée. Nous étions sur le bateau pour rejoindre un endroit et la comédienne s’est mise a chanté, puis les autres comédiennes l’ont rejointe. J’ai commencé à filmer et j’en ai fait une scène, sans vraiment savoir où j’allais la mettre dans le film, mais parce que je trouvais le moment joli. Je trouve important de maintenir les comédien.nes en éveil, même quand ils ont déjà joué plusieurs fois leur texte. Je veux garder des surprises, comme changer la direction d’un.e acteur.ice pour surprendre les autres et éviter un côté “récité”. 

A. D. : Parmi les films récemment sortis en salle, y en a-t-il que tu conseillerais au lectorat ? 

A. P. : Je n’ai pas eu beaucoup de temps pour aller au cinéma récemment, mais j’ai adoré Smile 2 l’année dernière. Sinon, L’engloutie de Louise Hémon, qui sort le 24 décembre, est un très beau film, et très original. 

Entretien réalisé par Alex Dechaune le 17 septembre 2025.

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